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de Fredegonde ne fussent pas encore arrivés à Tours, soit que ses instructions eussent été mal suivies. Merowig rentra donc paisiblement dans l’enceinte qui lui servait d’asile, joyeux de sa liberté de quelques heures et ne se doutant nullement qu’il eût été en danger de périr par la plus insigne trahison[1].

L’armée qui devait marcher sur Tours était prête ; mais quand il s’agit de partir, Hilperik devint tout à coup indécis et timoré ; il aurait voulu savoir jusqu’à quel point allait en ce moment la susceptibilité de saint Martin contre les infracteurs de ses privilèges, et si le saint confesseur était en veine d’indulgence ou de colère. Comme personne au monde ne pouvait donner là-dessus la moindre information, le roi conçut l’étrange idée de s’adresser par écrit au saint lui-même, en sollicitant de sa part une réponse nette et positive. Il rédigea donc une lettre qui énonçait en manière de plaidoirie ses griefs paternels contre le meurtrier de son fils Theodebert et faisait contre ce grand coupable un appel à la justice du saint. La requête avait pour conclusion cette demande péremptoire : « M’est-il permis ou non de tirer Gonthramn hors de la basilique[2] ? » Une chose encore plus bizarre, c’est qu’il y avait là-dessous un stratagème, et que le roi Hilperik voulait ruser avec son correspondant céleste, se promettant bien, si la permission lui était donnée pour Gonthramn, d’en user également pour s’emparer de Merowig dont il taisait le nom, de peur d’effaroucher le saint. Cette singulière missive fut portée à Tours par un clerc de race franke, nommé Baudeghisel, qui la déposa sur le tombeau de saint Martin, et mit à côté une feuille de papier blanc pour que le saint pût écrire sa réponse. Au bout de trois jours, le messager revint, et trouvant sur la pierre du sépulcre la feuille blanche telle qu’il l’y avait mise,

  1. Egressi itaque, ut diximus, de basilicâ ad Jocundiacensem domum civitati proximam progressi sunt : sed à nemine Merovechus nocitus est. Greg. Turon. hist., lib. v, pag. 241.
  2. Et quia impetebatur tunc Guntchramnus de interitu, ut diximus, Theodoberti, misit Chilpericus rex nuntios et epistolam scriptam ad sepulchrum Sancti-Martini, quæ habebat insertum, ut ei beatus Martinus rescriberet, utrùm liceret extrahi Guntchramnum de basilicâ ejus, an non. Greg. Turon. hist., lib. v, ibid.