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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

sont-ils tombés dans la désolation ! » Enfin, dans le livre des Évangiles il lut ce verset : « Vous savez que la pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié[1]. » Pour celui qui dans chacune de ces paroles croyait voir une réponse de Dieu même, il était impossible de rien imaginer de plus sinistre, et il y avait là de quoi ébranler une âme plus forte que celle du fils de Hilperik. Sous le poids de cette triple menace de trahison, de ruine et de mort violente, il resta comme accablé et pleura longtemps à chaudes larmes auprès du tombeau de saint Martin[2].

Gonthramn-Bose, qui s’en tenait à son oracle, et qui d’ailleurs ne trouvait là aucun sujet de crainte pour lui-même, persista dans sa résolution. À l’aide de cette influence que les esprits décidés exercent d’une manière qu’on pourrait dire magnétique sur les caractères faibles et impressionnables, il raffermit si bien le courage de son jeune compagnon, que le départ eut lieu sans le moindre délai, et que Merowig monta à cheval d’un air tranquille et assuré. Gonthramn, dans ce moment décisif, avait à se faire une autre espèce de violence ; il allait se séparer de ses deux filles, réfugiées avec lui dans la basilique de Saint-Martin, et qu’il n’osait emmener à cause des hasards d’un si long trajet. Malgré son égoïsme profond et son imperturbable fourberie, on ne pouvait pas dire qu’il fut absolument dépourvu de bonnes qualités, et parmi tant de vices il avait au moins une vertu, celle de l’amour paternel[3]. La compagnie de ses filles lui était chère au plus haut degré. Pour les rejoindre, quand il se trouvait loin d’elles, il n’hésitait pas à exposer sa personne ; et s’il s’agissait de les garantir de quelque danger, il devenait batailleur et hardi jusqu’à la témérité. Contraint de les laisser dans un asile que le roi Hilperik, devenu

  1. Post hæc continuato triduo in jejuniis, vigiliis atque orationibus, ad beatum tumulum iterùm accedens, revolvit librum, qui erat Regum : versus autem primus paginæ quam reseravit, hic erat… Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 241. — V. Rois, liv. 3, chap. 9, v. 9. — Ps. 72, v. 18. — Év. selon saint Matthieu, chap. 26, v. 2.
  2. In his responsionibus ille confusus flens diutissimè ad sepulchrum beati antistitis… Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 241.
  3. Guntchramnus verô aliàs sanè bonus. Nam ad perjuria nimiùm præparatus erat… Greg. Turon. ibid.