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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

veux pas parler, je parlerai, moi ; je t’avertis, mon vieux renard, que tu vas aller en prison. — In preson ! mi ! parchè, lustrissimo ? — Parce que tu as dîné à Saint-Samuel, dit le docteur. — Et quel mal y a-t-il à dîner à Saint-Samuel, paron ? — Parce que tu as conspiré contre la sûreté de l’état, lui dis-je. — Mi ! Cristo ! quel mal peut faire un pauvre homme comme moi à l’état ? — N’es-tu pas Nicoloto ? dit le docteur. — Mi si ! je suis né Nicoloto. — Eh bien ! tous les Nicoloti sont accusés de conspiration, repris-je, et toi comme les autres. — Santo Dio ! je n’ai jamais fait de conspiration. — Ne connais-tu pas un certain Gambierazi ? dit le docteur. — Gambierazi ! dit le prudent vieillard d’un air émerveillé ; quel Gambierazi ? — Parbleu ! Gambierazi, ton compère. On dirait que tu ne l’as jamais vu. — Lustrissimo, je n’ai pas entendu le nom que vous disiez, Gamba… Gambierazi ? Il y a beaucoup de Gambierazi ! — Eh bien ! tu répondras demain plus catégoriquement à la police, dit le docteur. Voyez-vous cet animal que j’ai sauvé vingt fois de la corde, et qui devrait croire en moi comme en Dieu : le voilà qui joue au plus fin avec moi et qui se méfie de moi comme d’un suppôt de police ! qu’il aille au diable ! Si je m’intéresse à lui dans cette affaire, je consens à être pendu moi-même.

Ce matin, comme nous prenions le café sur le balcon, nous vîmes passer dans une gondole Catulus pater et Catulus filius, accompagnés de quatre sbires. — Fort bien ! dit le docteur, je ne croyais pas deviner si juste ; mais qu’est-ce que veut ce vieux bavard avec sa voix de grenouille enrhumée et ses signes d’intelligence ? — Catulus pater faisait en effet des efforts incroyables pour se faire entendre de nous, mais son enrouement chronique ne le lui permettant pas, il eut un colloque conciliatoire avec un sbire, qui consentit à faire arrêter la gondole et à accompagner son prisonnier jusqu’à nous. — Ah ! ah ! dit le docteur, que viens-tu faire ici ? ne sais tu pas que c’est moi qui t’ai dénoncé ?

— Oh ! je sais bien que non, lustrissime ! Je viens me recommander à su protezion. — Mais qu’as-tu fait, malheureux scélérat ? dit le docteur d’un air terrible. Quand je te disais que tu avais trempé dans quelque infâme conspiration. — L’infortuné prisonnier baissa la tête d’un air si piteux, et le sbire posé sur le seuil de la porte, dans une attitude tragique, prit une expression de visage si terrible, que Beppa et moi partîmes d’un éclat de rire sympathique. — Mais enfin quel crime as-tu commis, damné vieillard ? dit Giulio. — Gnente, paron ! — Toujours la même chose ! dit Pierre, de quoi diable veux-tu que je te justifie, si je ne sais pas de quoi tu es accusé ? — Gnente, lustrissimo, altro che gavemo fato un Nicoloto. — Qu’est-ce que cela veut dire ? demandai-je. — Ma foi ! je n’en sais rien, répondit Giulio. Qu’est-ce que tu entends par là, vechio birbo ? — Nous