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POÉTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

leur pensée au point de la rendre insaisissable. C’était de leur part une grande faute d’entamer le tissu à force de l’amincir pour l’étendre ; mais le danger peut être évité, et Sainte-Beuve mieux que personne connaît le moyen de n’y pas succomber.

Cette brièveté volontaire dans les similitudes, en multipliant les facettes et les tons du style, lui ôte une partie de son unité. La prose prend alors un aspect chatoyant qui fatigue l’œil et déroule l’attention. Au lieu d’un métal poli qui réfléchirait la lumière en la brisant sous des angles simples et prévus, nous avons un métal capricieusement taillé, où les rayons se croisent en mille routes.

Ces reproches que nous croyons sérieux s’expliquent par une disposition particulière à l’esprit de Sainte-Beuve. En présence de sa pensée comme devant les caractères qu’il étudie, sa curiosité tient du tressaillement ; il aperçoit du même coup plusieurs faces diverses, également éblouissantes, et qui le séduisent avec une égale puissance ; tantôt c’est le côté sensuel, tantôt c’est le côté idéal. Dans son ardeur mobile, il ne choisit pas assez délibérément le côté qu’il veut peindre, et comme un enfant placé entre deux fruits également dorés, il va de l’un à l’autre, sans se décider pour l’idée à l’exclusion de l’image, ou pour l’image à l’exclusion de l’idée. Cette disposition est, dans l’ordre intellectuel, quelque chose qui correspond assez bien au chatoyement du style, dans l’ordre littéraire.

Malgré ces chicanes, qui sans doute sembleront niaises au plus grand nombre, à force d’être subtiles et procédurièrement déduites, Volupté est un beau livre, et comme il s’en fait peu dans ce temps-ci, un livre plein de substance, nourri de pensées et surtout de sentimens vrais, surpris sur la nature, étudiés avec une précision médicale ; c’est un livre humain où ruisselle le sang des blessures, où l’artiste a laissé les lambeaux de son cœur, comme la brebis les lambeaux de sa toison dans la haie qu’elle franchit.

Gustave Planche.