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leur distribuer les emplois les plus élevés de l’administration et de l’armée. Non content de cela, et craignant l’opposition des habitans de la ville, il dirige sur Cuzco tout le matériel de la république et en fait une espèce d’arsenal, destiné à lui servir de centre d’opérations dans le cas où il faudrait défendre son usurpation future à main armée.

Gamarra était admirablement secondé par sa femme, qui à elle seule en faisait autant que tous ses partisans ensemble pour le maintenir à son poste. Dona Francisca Subiaga, ou simplement Dona Panchita, comme on l’appelle ici, est une jeune et jolie femme qui, dans des temps moins prosaïques, eût fourni matière à plus d’un roman. Irritable et nerveuse à l’excès, au point, dit-on, d’être sujette à des attaques du mal caduc, cette infirmité donne à sa physionomie une expression de langueur qui séduit tous les jeunes officiers, dont les hommages ne l’entourent pas toujours en pure perte. Malgré son rang, il n’est pas rare de la rencontrer à pied dans les rues, vêtue de la saya qui presse sa taille flexible, et la figure coquettement voilée du rebozo, à l’exception d’un œil dont elle joue avec un charme tout particulier. Dans ce costume agaçant, elle aime à attacher à ses pas l’étranger novice qui ne sait encore reconnaître les femmes de Lima à leur seule démarche ; elle l’entraîne sur ses traces jusqu’au palais qu’elle habite, découvre tout à coup sa figure, et rentre dans ses appartemens en riant aux éclats du malheureux mystifié. Dona Panchita est en outre une écuyère intrépide ; elle n’a point de rival à Lima pour le tir du pistolet, la danse du huachambe et la guitare ; enfin, en fait de révolutions, voici un échantillon de son savoir-faire : elle avait à se plaindre du vice-président La Fuente qui ne secondait pas ses projets comme elle l’eût désiré. Au mois d’avril 1831, elle profite de l’absence de son mari qui était alors dans l’intérieur, se met en personne à la tête d’un régiment dont le colonel lui était entièrement dévoué, et marche sur le palais du gouvernement où La Fuente ne s’attendait à rien. Le pauvre vice-président est pris, conduit à bord d’un brick de guerre en rade du Callao, et dona Panchita s’installe en son lieu et place. Pendant quelques jours, la république eut la satisfaction d’avoir une présidente au lieu d’un président.