Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
DERNIÈRE RÉVOLUTION DU PÉROU.

et la masse de la nation à celle de nos armées. Mais dussiez-vous siffler au lieu d’applaudir, j’entre en matière, et je serai aussi bref que possible.

En 1829, nous étions en guerre avec la Colombie au sujet de nos frontières dans le nord, et la présidence, occupée par le général Lamar, allait être vacante aux termes de la constitution ; le général Gamarra, qui commandait l’armée, entrevit la possibilité d’atteindre à ce poste élevé en sacrifiant sa patrie à l’ennemi. Par un traité secret, il s’engagea à livrer l’armée péruvienne à Bolivar, sous la condition que celui-ci, maître une seconde fois de la destinée du Pérou, L’élèverait au pouvoir suprême. Ce marché infâme fut exécuté fidèlement des deux côtés. Un traité de paix honteux ayant mis le congrès du Pérou sous l’influence colombienne, Gamarra fut élu président le 20 décembre de la même année, et en même temps le poste de vice-président fut confié au général La Fuente.

Le premier n’était pas, comme vous devez bien penser, d’humeur à se dessaisir paisiblement, après trois années de jouissance, d’un pouvoir qu’il avait acheté au prix de l’honneur. Dès son installation, il forma le projet de rendre son autorité viagère en dépit de l’opinion publique pour laquelle il affectait le plus profond mépris. Son premier soin fut de s’assurer du dévoûment absolu de l’armée en peuplant ses rangs d’officiers disposés à obéir à ses moindres caprices. Tout ce qu’il y avait d’hommes recommandables par leur moralité et leurs anciens services fut renvoyé dans ses foyers et remplacé par des Espagnols dont la présence était à peine tolérée dans le pays, et par des individus choisis dans une classe d’hommes très nombreuse à Lima, classe sans honneur, perdue de dettes et de débauches, et prête à tous les crimes. Gamarra trouvait au besoin des sicaires parmi ses officiers. Un imprimeur lui ayant déplu, cinq colonels, déguisés en gens du peuple, l’arrachent de son domicile, l’entraînent hors des murs de la ville et le poignardent de sang-froid. Par cette manière d’exercer la censure, jugez du reste. Pour s’assurer encore davantage de ses créatures, Gamarra avait organisé une espèce de loge maçonnique où chacun des affiliés s’engageait par serment à le maintenir au pouvoir, moyennant quoi le président devait, son autorité affermie,