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trop lourdes, trop difficiles à manier, objet de luxe, d’ostentation, de curiosité, ces galères ne valurent pas pour la guerre la dodécadère d’Alexandre. Celle-ci, ne subissant plus que des changemens peu importans, ne recevant que des perfectionnemens de détail, marque, à peu de chose près, la dernière limite de l’art des constructions navales dans l’antiquité.

Imaginez un navire beaucoup plus bas ponté que nos frégates, mais de longueur à peu près égale, terminé en poupe et en proue par deux dunettes élevées qui dominent le pont ; les rameurs, assis sur des bancs rangés les uns au-dessus des autres, de l’arrière à l’avant du navire, comme des gradins dans un amphithéâtre, sont au-dessous du pont ; deux ou trois mâts, grêles et petits, s’élèvent au-dessus de ce pont, dégarnis de cordages et de gréemens, car la voilure était une chose accessoire et presque inutile ; à Actium, les pilotes d’Antoine remarquent, comme un présage de sinistre augure, l’injonction qu’il leur fait d’emporter les voiles : tel est le navire des anciens. Grâce à l’impulsion vigoureuse donnée par leurs nombreux rameurs, ces antiques galères n’en manœuvraient pas moins avec une facilité, une rapidité extrême, pour changer de direction ou pour virer de bord. Tantôt escaladant la vague écumeuse, tantôt se précipitant de son sommet au milieu d’un éclatant sillage, elles apparaissaient avec leurs éperons d’acier étincelant au soleil, semblables au serpent qui se tord, se route sur lui-même, ou bien dresse fièrement sa tête altière, prêt à s’élancer.

L’imagination ne les trouve point au-dessous de leur rôle, lorsque nous nous les représentons combattant à Salamine pour la liberté de la Grèce, ou bien à Actium pour l’empire du monde.

À Actium, les soldats romains s’indignent cependant que le dénouement du grand drame commencé à Pharsale se fasse sur mer. Au moment où Antoine, sur le point de s’embarquer, parcourt une dernière fois les rangs de son armée de terre, un vieux centurion, tout couvert de blessures, l’apostrophe de son rang : « Ô Antoine ! pourquoi, vous défiant de nos blessures et de nos épées, allez-vous mettre votre confiance sur un bois pourri ? Que les Égyptiens et les Phéniciens combattent sur mer, mais à nous donnez-nous la terre, à nous qui savons combattre de pied ferme,