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n’avait d’autre refuge que les pratiques du sanctuaire et l’exaltation du fanatisme sacerdotal.

On se lasse de tout, même de régner servilement, et les rois s’émancipèrent. Alors commença l’époque politique avec la fondation de Memphis. L’élection sacerdotale disparut, et les guerriers devinrent héréditaires sur le trône. Sésostris fut l’homme de cette époque, conquérant dont Hérodote s’est complu à peindre l’orgueil ; qui passa en Europe, répandit le nom de l’Égypte par le monde, outrageait les vaincus par l’insolence de son glaive et de ses inscriptions : c’est moi, écrivait-il, qui, avec ces puissantes épaules, ai conquis ces pays ; qui entreprit après ses conquêtes des travaux immenses, sillonnant l’Égypte par des canaux, et faisant du sol un nouveau partage à ses habitans. La théocratie entrait dans ses jours de disgrâce ; Cheops passe pour avoir fermé les temples, du moins les prêtres l’ont dit à Hérodote. Enfin, après une invasion éthiopienne et un gouvernement fédératif de douze chefs, la royauté tomba entre les mains d’Amasis, homme du peuple, soldat aventurier et habile, ayant peu de souci des traditions sacerdotales, nouant des relations avec la Grèce, aimant les étrangers, prenant une femme chez les Cyrénéens, se partageant entre les affaires et les festins ; disant qu’il faut détendre l’arc, et que la préoccupation continuelle d’une même pensée devient tôt ou tard une cause de folie et de stupidité ; aimable convive, diseur de bons mots, et ne permettant pas à la royauté de lui infliger l’ennui sur le trône. La voilà, cette théocratie antique, si péniblement fondée par les sévices de Busiris, par Hermès, par Menès, qui montra pendant tant de siècles ses prêtres couronnés à l’Égypte ; la voilà qui, après avoir été opprimée par le génie politique de Sésostris et persécutée par Cheops, subit pour dernier outrage les railleries d’un soldat aviné, et vient expirer au milieu des gaîtés de la table d’Amasis, inter pocula et scyphos !

Dans la terre d’Égypte, la loi était la religion même : elle régnait sur les peuples comme un dogme sacré qu’écrivait la sagesse sacerdotale ; le pouvoir exécutif était soumis à la loi comme le bras à la tête ; et, seulement au jour où les rois se révoltèrent contre la théocratie, le pouvoir exécutif a pu primer le législatif. La justice était revêtue de toute la majesté de la religion : trente prêtres choisis