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ex nobilitate. La Grèce primitive nous montre le gouvernement livré aux races antiques ; en Crète les hauts emplois n’appartinrent long-temps qu’aux plus vieilles familles ; les Basilides furent puissantes à Érythrée ; les Bacchiades à Corinthe : les Myletides à Syracuse ; les Aleuades et les Scopades en Thessalie.

Mais les races s’épuisent[1], et plus elles sont antiques, plus elles deviennent incapables du siècle qui assiste à leur décrépitude. De leur côté, les sociétés changent le signe de la supériorité morale et passent de la naissance aux intérêts positifs, aux prospérités du présent, à l’argent. C’est, suivant l’expression antique, la timocratie. Vous la trouvez puissante à Carthage : l’époque de Solon, celle de Servius Tullius à Rome lui sont favorables. Enfin, il se fait un mélange de la naissance, de la fortune et d’une certaine valeur personnelle qui constitue proprement l’aristocratie politique.

Le principe aristocratique a été le début légitime des sociétés ; sa gloire est de les commencer, mais son tort est de vouloir les arrêter. Le patriciat jette les fondemens de Rome, puis il fait obstacle à ses progrès ; il lutte, il est vaincu : sa défaite est nécessaire à la marche de l’humanité.

La noblesse moderne, sortie des mœurs germaniques, glorieuse par la guerre, puissante par la terre, instaure les origines de la moderne Europe ; mais dès que les généralités de l’esprit humain commencent à se produire, elle y devient hostile, incapable elle-même de généralité : son ignorance porte aux idées une haine incurable ; elle pressent dans la science son héritière.

Partout où le principe aristocratique a régné seul, l’état qu’il a gouverné a promptement péri, semblable à un homme qui manque d’air et dont la vie ne peut trouver une issue. À l’embouchure de la Brenta, quelques nobles d’Aquilée s’étaient réfugiés dans un petit groupe d’îles pour échapper aux barbares ; c’était au ve siècle, ils commencèrent Venise : elle fut long-temps une modeste municipalité sous le protectorat de Constantinople dont elle s’empara plus tard dans la compagnie des Français. Dès le viie siècle le doge gouverna Venise ; il était général et juge ; il pouvait associer son fils à son au-

  1. Quemadmodum lubium imperiorumque, ità gentium nunc florere fortunam, nunc senescere, nunc interire. — Velleius Paterculus, lib. ii, cap. xi.