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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

la malédiction paternelle m’a dégradée, me réhabiliterai-je par l’infidélité ? Si l’image menaçante des larmes qui sillonnaient la joue du vieillard vient chaque nuit troubler mon sommeil, la désertion de mon amour serait-elle un digne moyen de fléchir l’ombre indignée, et le pardon si obstinément dénié à la douleur échevelée sera-t-il plus facile à l’inconstance insoucieuse ?

Non. J’irai jusqu’au bout. Je boirai jusqu’au fond cette coupe d’amertume. Je subirai sans détourner la tête les affronts et le mépris de ce monde qui me conviait à ses fêtes et que j’ai quitté. Ma paupière ne s’abaissera pas devant ces mères orgueilleuses qui parlent bas à l’oreille de leurs filles en me voyant passer. Je marcherai près d’elles d’un pas ferme, je sentirai la rougeur monter à mon front ; mais je retiendrai mes larmes et je les accumulerai pour les verser à flots dans le cœur de mon bien-aimé.

Tous ces biens dont le mouvant spectacle s’agite autour de moi, je les dédaignerai pour ne plus voir qu’un seul bien, qu’un trésor unique, le trésor que j’ai choisi. Les joies paisibles de la famille, les caresses naïves des enfans, les flatteries enivrées, recueillies par les filles florissantes et rapportées fidèlement au cœur de l’orgueilleuse mère, rien de tout cela ne m’appartiendra plus. La foule ignorante comptera mes regrets par ses désirs, et je triompherai de sa méprise.

Je m’enfermerai dans mon amour comme dans une tour fortifiée, et je regarderai s’enfuir sur la route lointaine les rêves dorés de ma jeunesse, si splendides aux premiers jours, et maintenant pâlissans et confus. Je suivrai d’un œil assuré les feuilles dispersées de mes espérances, si vertes et si humides au matin, et si rapidement séchées avant l’heure du soir.

Chaque fois que je verrai se fermer devant moi les portes d’une maison joyeuse, loin de pleurer sur mon isolement, je m’applaudirai dans le silence de ma pensée du choix glorieux de mon cœur, et comparant le mensonge de cette fête à la fête perpétuelle de mon amour, je les plaindrai sincèrement de n’avoir pas comme moi le vrai bonheur.

Tous les soirs, en me souvenant de la journée accomplie, en prévoyant la journée prochaine, je bénirai la sérénité harmonieuse de ma destinée, et sur les plaisirs tumultueux des autres femmes