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de l’empire les mêmes illusions que les autres pour l’ancien régime ? Les forces dont ils veulent disposer et abuser sont-elles bien complètement à leur disposition ? L’esprit du siècle ne bouleverse-t-il pas toutes leurs belles théories répressives ? Qu’importe ? Il faut effrayer à la tribune. Depuis que M. Bugeaud a été heureux ou malheureux dans un triste duel, on ne se tient plus de violence ; on est duelliste ; on est bien fort ; on sait placer une balle juste dans le crâne de ses collègues. Voyez-vous quelle puissance d’opinion ! comment hésiter encore dans la demande des lois d’exception, comment ménager une opposition qu’on pourrait décimer toutes les semaines par un duel ? Cette coterie agressive s’étend de la chambre au château, du château aux feuilles périodiques dévouées au pouvoir. Mais que le gouvernement y prenne bien garde, les imprudences de ses amis jettent de l’odieux sur sa politique ; ces paroles du sabre échappées aux deux tribunes peuvent réussir un jour, mais elles s’écrivent en caractères de sang dans l’esprit de la nation, qui commence déjà à comprendre le joug qu’on veut lui faire subir. Nous en sommes aux désaveux, tant la puissance de l’opinion est grande ! les mots horribles ont du retentissement, et le comte Lobau lui-même se hâte de les désavouer.

La seconde fraction qui vote avec le ministère se compose des fonctionnaires publics, et par là il faut entendre aussi bien ceux qui exercent un emploi public et salarié, que ceux qui reçoivent un traitement ou une indemnité sur les fonds secrets, sous une dénomination quelconque. La doctrine du vote nécessaire des fonctionnaires publics qu’on avait quelque temps hésité à proclamer sous la révolution de juillet, est maintenant invariablement admise, de sorte que, sauf quelques rares exceptions, tout fonctionnaire est inféodé à l’administration ministérielle ; et comment s’en écarteraient-ils ? la plupart de ces fonctionnaires ont été improvisés sans antécédens, sans services, jetés comme M. Edmond Blanc, par exemple, d’une position obscure à un poste élevé. De là ce servilisme qui passe des bureaux à la chambre des députés ; de là surtout ce mépris profond d’une conscience haute et indépendante que certains hommes ne comprennent pas. Vous ne pouvez concevoir à combien de choses humiliantes s’abaissent certains de ces parvenus fonctionnaires, pour complaire aux ministres, et particulièrement à M. Thiers, qui, sous ce rapport, rend quelque service au pays, en méprisant si profondément ceux qui sont si méprisables en politique. Un jour on écrira l’histoire de cette longue liste de courtisans qui prêtent leur volonté, leur conscience, leur honneur, à l’amour-propre politique et jusqu’aux voluptés sensuelles de quelques-uns des membres du cabinet ; et comment attendre de l’indépendance dans la chambre de ces ames à pots-de-vin et à marchés de travaux publics ?