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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

LE BARON.

Je les ai, Bridaine ; elles sont sur ma table, dans mon cabinet. Ô mon ami, apprenez maintenant que je suis plein de joie. Vous savez que j’ai eu de tout temps la plus profonde horreur de la solitude. Cependant la place que j’occupe, et la gravité de mon habit, me forcent à rester dans ce château pendant trois mois d’hiver, et trois mois d’été. Il est impossible de faire le bonheur des hommes en général, et de ses vassaux en particulier, sans donner parfois à son valet de chambre l’ordre rigoureux de ne laisser entrer personne. Qu’il est austère et difficile, le recueillement de l’homme d’état ! et quel plaisir ne trouverai-je pas à tempérer, par la présence de mes deux enfans réunis, la sombre tristesse à laquelle je dois nécessairement être en proie depuis que le roi m’a nommé receveur !

MAÎTRE BRIDAINE.

Ce mariage se fera-t-il ici, ou à Paris ?

LE BARON.

Voilà où je vous attendais, Bridaine ; j’étais sûr de cette question. Eh bien ! mon ami, que diriez-vous, si ces mains que voilà (oui, Bridaine, vos propres mains, ne les regardez pas d’une manière aussi piteuse) étaient destinées à bénir solennellement l’heureuse confirmation de mes rêves les plus chers ? Hé ?

MAÎTRE BRIDAINE.

Je me tais ; la reconnaissance me ferme la bouche.

LE BARON.

Regardez par cette fenêtre ; ne voyez-vous pas que mes gens se portent en foule à la grille ? Mes deux enfans arrivent en même temps ; voilà la combinaison la plus heureuse. J’ai disposé les choses de manière à tout prévoir. Ma nièce sera introduite par cette porte à gauche, et mon fils par cette porte à droite. Qu’en dites-vous ? Je me fais une fête de voir comment ils s’aborderont, ce qu’ils se diront ; six mille écus ne sont pas une bagatelle, il ne faut pas s’y tromper. Ces enfans s’aimaient d’ailleurs fort tendrement dès le berceau. — Bridaine, il me vient une idée.

MAÎTRE BRIDAINE.

Laquelle ?


LE BARON.

Pendant le dîner, sans avoir l’air d’y toucher, — vous comprenez, mon ami, — tout en vidant quelques coupes joyeuses, — vous savez le latin, Bridaine ?

MAÎTRE BRIDAINE.

Ità edepol ; pardieu, si je le sais !