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REVUE DES DEUX MONDES.

PERDICAN.

N’est-ce pas vous qui m’avez porté sur votre dos pour passer les ruisseaux de vos prairies, vous qui m’avez fait danser sur vos genoux, qui m’avez pris en croupe sur vos chevaux robustes, qui vous êtes serrés quelquefois autour de vos tables pour me faire une place au souper de la ferme ?

LE CHŒUR.

Nous nous en souvenons, seigneur. Vous étiez bien le plus mauvais garnement et le meilleur garçon de la terre.

PERDICAN.

Et pourquoi donc alors ne m’embrassez-vous pas, au lieu de me saluer comme un étranger ?

LE CHŒUR.

Que Dieu te bénisse, enfant de nos entrailles ! chacun de nous voudrait te prendre dans ses bras ; mais nous sommes vieux, monseigneur, et vous êtes un homme.

PERDICAN.

Oui, il y a dix ans que je ne vous ai vus, et en un jour tout change sous le soleil. Je me suis élevé de quelques pieds vers le ciel, et vous vous êtes courbés de quelques pouces vers le tombeau. Vos têtes ont blanchi, vos pas sont devenus plus lents ; vous ne pouvez plus soulever de terre votre enfant d’autrefois. C’est donc à moi d’être votre père, à vous qui avez été les miens.

LE CHŒUR.

Votre retour est un jour plus heureux que votre naissance. Il est plus doux de retrouver ce qu’on aime, que d’embrasser un nouveau-né.

PERDICAN.

Voilà donc ma chère vallée ! mes noyers, mes sentiers verts, ma petite fontaine ; voilà mes jours passés encore tout pleins de vie, voilà le monde mystérieux des rêves de mon enfance. Ô patrie ! patrie ! mot incompréhensible ! l’homme n’est-il donc né que pour un coin de terre, pour y bâtir son nid et pour y vivre un jour ?

LE CHŒUR.

On nous a dit que vous êtes un savant, monseigneur.

PERDICAN.

Oui, on me l’a dit aussi. Les sciences sont une belle chose, mes enfans ; ces arbres et ces prairies enseignent à haute voix la plus belle de toutes, l’oubli de ce qu’on sait.

LE CHŒUR.

Il s’est fait plus d’un changement pendant votre absence. Il y a des filles mariées et des garçons partis pour l’armée.