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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

M. Cousin, et conçut dès lors, sans doute, l’idée de réfuter sa philosophie.

Il s’est donné plus tard la peine bien inutile d’exécuter son idée, comme si l’on pouvait réfuter ce qui n’existe pas. Il y a une philosophie de Hegel, une philosophie de Schelling ; mais la philosophie de Cousin, cela n’existe pas, cela n’a jamais existé, cela n’existera jamais. Je demande grâce pour la vulgarité de la comparaison, mais c’est comme pour le pâté de lièvre de Louis xviii ; pour faire une philosophie, il faut un philosophe. Ici Manzoni a été évidemment la dupe d’une illusion de l’amitié. Il n’en a pas moins mené à terme sa réfutation, et le manuscrit en est en ce moment entre les mains de M. Cousin. Je n’en ai point eu connaissance, mais il paraît que c’est tout simplement la critique du rationalisme allemand immolé par l’auteur à l’autorité catholique.

J’ignore si l’ouvrage est destiné à voir le jour.

J’ai dit que ce second séjour à Paris avait été la seule absence de Manzoni, ce n’est pas tout-à-fait exact ; car il fit, sept ou huit ans plus tard, un petit voyage en Toscane où il fut fort choyé par la cour. Il vit maintenant dans une profonde retraite, passant la plus grande partie de l’année dans sa villa palladienne de Brusano, à cinq ou six milles de Milan. Il voit peu de monde, et sa timidité naturelle lui rend toute visite importune. Il se trouble et rougit comme une jeune fille à la vue d’un étranger.

Manzoni est de moyenne taille, il a l’œil doux, et comme Virgile et Pétrarque, ses cheveux ont blanchi avant l’âge. Sa santé d’ailleurs est précaire ; ainsi que Pascal, il est sujet au vertige, il croit souvent voir un abîme s’ouvrir à ses côtés ; ce qui l’oblige à marcher toujours accompagné. Il a eu la douleur de perdre sa femme l’année dernière. Une de ses filles a épousé le marquis Azeglio, paysagiste distingué et auteur du roman de Fieramosca.

Les opinions littéraires de Manzoni sont fort arrêtées : il n’aime pas Byron ; Byron en effet doit troubler sa paisible orthodoxie. Il estime beaucoup Schiller et Shakspeare ; mais il est sévère pour Tasse et ne le goûte pas. Doué d’une grande mémoire, il a des connaissances variées en histoire, en économie politique, en botanique, même en agriculture. Son esprit est tourné maintenant à la philologie, il a fait une étude approfondie des dialectes popu-