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REVUE. — CHRONIQUE.

sante. En revenant, il dit à son compagnon de voyage qu’il était l’un des sous-traitans du service des fourrages de cette ville ; que le titulaire du marché le lui avait cédé moyennant un pot-de-vin de 30 fr. par jour ; qu’il avait, lui, trouvé à rétrocéder ses droits moyennant 50 fr. par jour à un individu qui en tirait un semblable bénéfice, de telle sorte que la fourniture d’un seul régiment de cavalerie était grevée d’une somme de pots-de-vin s’élevant ensemble à 130 fr. par jour, ou 47,450 fr. par an, sans compter les bénéfices du fournisseur véritable.

Dans l’espoir que toutes ces honteuses affaires décideront le maréchal Gérard à s’éloigner, déjà les ambitions s’agitent, les faiseurs cherchent de toutes parts un président du conseil, et vu l’impossibilité de trouver un troisième maréchal qui consente à ne pas présider le conseil, on songe à placer la présidence au ministère des affaires étrangères.

M. Molé, qui a occupé plusieurs fois ce ministère avec honneur, a été un moment sur le tapis, pour l’éventualité de la retraite du maréchal Gérard ; mais M. Molé tiendrait à faire lui-même les affaires de son ministère ; il a une sorte d’inflexibilité dans le caractère qui s’accorderait mal avec tous les mystérieux reviremens de la diplomatie des Tuileries ; on le craint, et cependant on reconnaît de quel poids serait un tel nom. Ce qui rend cette combinaison presque impossible, c’est que M. Molé est très mal avec M. Guizot qui s’est prononcé hautement contre lui dans le conseil, très mal avec M. de Broglie qui n’est pas sans influence, et que sa rigidité en affaires rend impossible tout rapprochement politique entre lui et M. Thiers.

Après M. Molé, peut-être avant M. Molé, M. de Broglie aurait quelques chances de reparaître sur l’horizon, si la chambre exigeait un remaniement politique. M. de Broglie n’est pas sorti des affaires en homme capable et habile, bien que M. de Broglie soit réellement habile et capable ; mais on n’a pas une réputation de probité plus méritée, et la chambre paraît décidément vouloir des hommes probes. Au reste, M. de Broglie ne fera rien pour avoir un portefeuille, on aurait même quelque peine à le lui faire accepter ; retiré depuis quelque temps à Bonn sur le Rhin, dans une retraite philosophique avec son ami Schlegel, il a annoncé l’intention de ne revenir en France qu’après passé quelques mois dans le calme de la vie de Coppet. Il est vrai que c’est là qu’on était venu chercher M. Necker pour le faire ministre.

Il existe un autre candidat à la présidence, mais celui-là n’attend pas qu’on vienne le chercher. C’est, le croirait-on, et l’eût-on jamais deviné, le général Sébastiani, que son impotence et sa nullité ont déjà depuis long-temps forcé de quitter le ministère, et qui, plus nul et plus impotent que jamais, demande à grands cris, comme un enfant volontaire, le bâton de maréchal et le fauteuil de la présidence. Pauvre vieillard qui aurait grand besoin en effet d’un bâton et d’un fauteuil pour soutenir et reposer son corps débile ! La pensée de la présidence est venue à M. Sébastiani, dit-on, en apprenant la nomination du maréchal Gérard. M. Sébastiani se trouve plus jeune et plus ingambe que le maréchal, retenu dans son lit par une sciatique ; il se redresse, sautille presque comme faisait mécham-