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ment le vieux duc de Richelieu devant son vieux fils le duc de Fronsac, cloué sur sa chaise par la goutte, et s’écrie sans cesse qu’en ce temps il faut des ministres verts et actifs qui puissent, comme lui, se multiplier et se montrer partout. Au reste, M. Sébastiani est aussi bon que tout autre pour présider nominativement le conseil ; peut-être même le voudrait-on au château un peu plus cassé et plus apoplectique, avant que de lui confier cette haute et inutile fonction.

Les chambres feront sans doute justice de toutes ces ambitions, et peut-être sera-t-on forcé de les convoquer avant l’époque fixée par l’ordonnance de prorogation. Les affaires extérieures, qui peuvent se compliquer d’un moment à l’autre, amèneraient cette nécessité. L’insurrection de Madrid, dont il n’est encore que vaguement question, la maladie grave et la mort sans doute prochaine de l’empereur d’Autriche, sont des faits importans qui exigeront en France un ministère uni dans une pensée, compacte, et non pas formé d’hommes si contraires et si indécis, tel qu’est le ministère actuel. M. Thiers, accouru hier de Dieppe, où depuis quelques jours il vivait mollement, laissant aller à vau-l’eau les affaires de son ministère, va sans doute prendre les devans et travailler à la démolition de ses collègues.

L’espace nous manque malheureusement pour donner aujourd’hui tous les renseignemens que nous avons recueillis sur la manière dont le jeune ministre administre le département qui lui est confié. La police et les beaux-arts nous fourniraient seuls la matière d’un volume. Là on trouverait, d’un côté, l’odieux, et de l’autre l’ignorance et le ridicule. On ne peut se figurer la bouffonne arrogance, la sottise et la mauvaise foi qui président à la division des théâtres et des beaux-arts, gérée par M. Cavé. Les faits seuls pourront en donner une idée, et encore bien imparfaite.

Entre autres faits graves qui se rattachent à l’administration politique de ce ministère, on doit citer les rigueurs inutiles exercées contre les réfugiés qui ont pris part à la tentative de Romarino en Savoie. L’extrait suivant de la brochure publiée à Londres par ces infortunés, en dit plus que ne pourraient faire toutes les réflexions. Ce récit naïf, ces plaintes dépouillées d’aigreur, ont produit une grande sensation en Angleterre, où les ministres eux-mêmes ont souscrit en faveur de ces malheureux officiers.

On se souvient sans doute des faits qui avaient motivé leur arrestation. Les voici rapportés par eux-mêmes :


Dans les premiers jours du mois de février dernier, deux corps de réfugiés polonais et italiens, l’un commandé par le général Romarino, l’autre par le capitaine Allemandi, se présentèrent sur deux points des frontières de Savoie, du côté de la Suisse et de la France, pour appuyer la révolution de la Savoie et du Piémont. Les réfugiés, ayant échoué dans leur entreprise, entrèrent en Suisse, où ils furent reçus avec une courageuse hospitalité. La colonne qui entra par la frontière française, sous le commandement du capitaine Allemandi, après avoir soutenu un engagement avec les troupes piémontaises, dans lequel il y eut des hommes de tués des deux côtés, fut bientôt après obligée de se retirer devant une force supérieure. Les réfugiés qui composaient cette colonne passèrent sur le territoire français. À la frontière, ils furent reçus par la police armée, qui les jeta dans les prisons de Grenoble. Après un emprisonnement de trois mois, le capitaine Allemandi,