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REVUE. — CHRONIQUE.

Vairetti, Antongina et neuf autres parurent, le 12 du mois de mai, devant la cour d’assises, accusés d’avoir, par des voies de fait hostiles et non approuvées par le gouvernement, exposé l’état à une déclaration de guerre au roi de Sardaigne, le tout selon les articles 84 et 85 du Code pénal. Le jury, après dix minutes de délibération, déclara que les accusés n’étaient point coupables. Cette décision fut reçue avec des signes d’une approbation générale par le public ; mais bientôt l’avocat-général déclara qu’en conséquence des instructions que lui avait communiquées le préfet de l’Isère, les réfugiés seraient reconduits en prison jusqu’au moment de leur déportation en Angleterre.

Notes, écrites au crayon, durant le voyage du capitaine Allemandi.

13 mai 1834. — Quitté Grenoble à deux heures du matin, la chaîne au cou, deux à deux, et montés sur une charrette, escortés de six gendarmes et d’un brigadier. Arrivés à Moirans à midi. Enfermés dans un donjon obscur et sombre ; appel fait au maire qui nous fit mettre dans une prison moins malsaine. À deux heures environ, ma femme arriva avec mes trois filles et mon ami Burnier, avocat. Nous dînâmes tous ensemble dans la prison ; à quatre heures ma famille me quitta pour retourner à Grenoble ; un bien triste adieu ! Nous passâmes une cruelle nuit dans la prison de Moirans.

14 mai. — En route à six heures. La charrette nous transporta, à nos frais, et enchaînés comme le jour précédent ; nous nous arrêtâmes à la Ferté, puis nous continuâmes notre route. Vers onze heures, arrivés à la prison de la Côte-St.-André, couchés sur de la paille sale et humide. Donjon glacé, nuit horrible, le geôlier homme dur et inhumain.

15 mai. — Partis à 6 heures, la charrette à nos frais ; arrivés à midi à Bourgoin, le geôlier avec l’apparence d’un honnête homme, n’est qu’un coquin ; il demanda le double de la valeur d’un misérable repas. Madame Bouquet et quelques amis vinrent nous visiter. Nuit passée dans un mauvais lit.

16 mai. — Appelés à six heures, la charrette payée par nous. Les gendarmes, qui avaient quelques sentimens d’humanité, refusèrent de nous lier. Arrivés à St.-Laurent à midi ; le donjon étroit et sans croisées ; le geôlier, vieux gendarme, est un homme sans cœur ; mais le major, M. Dorel, un vrai patriote qui, considérant notre position, ordonna qu’on nous mît dans la chambre d’un gendarme ; nous passâmes la journée dans sa société, et il se réunit à nous dans nos souhaits pour la liberté de toutes les nations.

Le soir il nous envoya des matelas et des couvertures pour nous rendre la nuit plus supportable. Honneur à cet excellent homme, qui nous fit oublier nos peines pour quelques minutes !

17 et 18 mai. — Nous passâmes ces deux jours, dans la prison de Perrache, à Lyon, où nous avons été assez bien logés.

19 mai. — Partis à sept heures par un violent orage. La charrette à nos frais. Enchaînés par deux gendarmes qui se placent à nos côtés. Le préfet Gasparin refusa de payer la somme ordinaire pour nos dépenses de route ; nous arrivâmes le soir à Villefranche dans un état déplorable. Bonne prison, bons lits. Les sœurs de Charité, qui vouent leurs soins à cette prison, sont des modèles d’humanité ; elles obtinrent une charrette pour laquelle nous ne fûmes pas obligés de payer.

20 mai. — Nous dînâmes à midi à Mâcon sans être enchaînés. Bonne prison. M. Jacquod, le geôlier, digne homme. Nous eûmes la visite de nos compatriotes réfugiés et de deux braves polonais. J’insistai pour que le procureur du roi vînt prendre connaissance de nos effets et en faire l’inventaire, afin de constater que nous n’avions pas, selon la fausse dénonciation du geôlier de Lyon, emporté, par mégarde, un paquet appartenant à un prisonnier. J’écrivis au préfet pour dénoncer ce calomniateur nommé Pulgère. Par les soins du geôlier, nous avons une charrette non à nos frais.

21 mai. — Quitté Mâcon à six heures, enchaînés sur la charrette et arrivés à midi à Tournu, Bonne prison, la femme du geôlier est une femme compatissante.