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REVUE DES DEUX MONDES.

CAMILLE.

Si le curé de votre paroisse soufflait sur un verre d’eau, et vous disait que c’est un verre de vin, le boiriez-vous comme tel ?

PERDICAN.

Non.

CAMILLE.

Si le curé de votre paroisse soufflait sur vous, et me disait que vous m’aimerez toute votre vie, aurais-je raison de le croire ?

PERDICAN.

Oui et non.

CAMILLE.

Que me conseilleriez-vous de faire, le jour où je verrais que vous ne m’aimez plus ?

PERDICAN.

De prendre un amant.

CAMILLE.

Que ferai-je ensuite, le jour où mon amant ne m’aimera plus ?

PERDICAN.

Tu en prendras un autre.

CAMILLE.

Combien de temps cela durera-t-il ?

PERDICAN.

Jusqu’à ce que tes cheveux soient gris, et alors les miens seront blancs.

CAMILLE.

Savez-vous ce que c’est que les cloîtres, Perdican ? Vous êtes-vous jamais assis un jour entier sur le banc d’un monastère de femmes ?

PERDICAN.

Oui, je m’y suis assis.

CAMILLE.

J’ai pour amie une sœur qui n’a que trente ans, et qui a eu cinq cent mille livres de revenu à l’âge de quinze ans. C’est la plus belle et la plus noble créature qui ait marché sur terre. Elle était pairesse du parlement, et avait pour mari un des hommes les plus distingués de France. Aucune des nobles facultés humaines n’était restée sans culture en elle, et, comme un arbrisseau d’une sève choisie, tous ses bourgeons avaient donné des ramures. Jamais l’amour et le bonheur ne poseront leur couronne fleurie sur un front plus beau ; son mari l’a trompée ; elle a aimé un autre homme, et elle se meurt de désespoir.