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premier ouvrage qu’il publierait. — Et il vous l’a envoyé ? demanda l’abbé. — Je ne dis point qu’il me l’ait envoyé, reprit aussitôt le moine. S’il me l’eût envoyé, ce ne serait pas ma faute. Qui pouvait prévoir que cet homme si pieux et si bon ferait un livre abominable ? — Mais êtes-vous bien sûr, lui dis-je, qu’il soit abominable ? — Comment, si j’en suis sûr ! — Si vous ne l’avez pas lu ? — Mais la circulaire du pape ! — Ah ! j’oubliais, repris-je. — Lorsque cette circulaire nous est arrivée, dit le moine, j’étais comme vous dans l’erreur sur le compte de M. de La Mennais. Je disais à mes frères : Voyez un peu quelles grâces ineffables Dieu a répandues sur ce saint homme ! voyez comme un instant de doute et de souffrance a fait place en lui à une foi vive et ardente ! c’est l’effet de son entrevue avec le pape. — Vous disiez cela encore après avoir lu le livre ? dit l’abbé, persévérant dans sa taquinerie. — Je ne dis point que je l’aie dit alors, répondit le moine. D’ailleurs quand je l’aurais dit ? je n’avais pas reçu la circulaire. — Cette circulaire me chagrine beaucoup, lui dis-je. Voyez donc ! j’étais enthousiasmé du livre et de l’auteur ; je sentais, en le lisant, éclore en moi une foi plus vive ; l’amour de Dieu, l’espoir de voir son règne s’accomplir sur la terre, m’avaient transporté aux pieds du trône éternel. Jamais je n’avais prié avec autant de ferveur, j’éprouvais presque, chose inouie en ces jours-ci ! la soif du martyre. Cela ne vous a-t-il point produit le même effet, mon père ? — Si je n’avais pas reçu la circulaire du pape… dit le moine d’un air ému et contrarié, mais que voulez-vous ? Quand le pape déclare que le livre est contraire à la religion, à l’église, aux mœurs, et au gouvernement de… de… Il se frappa le front sans pouvoir trouver le nom de Louis-Philippe Ier ; ce fut le seul moment où il fut un peu Arménien et moine. — Les Français, continua-t-il, ont beaucoup d’obstination dans leurs opinions politiques. M. de La Mennais est un carliste. — Savez-vous bien au juste, mon père, ce que c’est que d’être carliste ? lui demandai-je. — Il paraît, répondit-il, que cela est très contraire aux opinions du pape. — Ma foi, je n’y comprends plus rien, dis-je à voix basse à l’abbé ; ou cet Arménien fait un étrange amphigouri dans sa tête, ou le pape craint le juste-milieu autant que les moines arméniens craignent le pape. — Je vous demande pardon, dit le frère Hiéronyme en se rapprochant de nous