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LE PRINCE.

des murailles, couleuvres des buissons, n’agitez pas l’herbe, ne soulevez pas les rameaux du lierre et de la scolopendre, ne faites pas crier les feuilles sèches et les tiges cassantes de l’ortie et du coquelicot. Nature entière, fais-toi muette et immobile comme la pierre du sépulcre ; le génie de l’homme s’éveille, sa puissance doit t’effrayer et te frapper de respect ; le plus habile et le plus important des princes de la terre va se courber sur une table, à la lueur d’une lampe, et du fond de son cabinet, comme Jupiter du haut de l’Olympe, il va remuer le monde avec le froncement de son sourcil.

Misères, vanités humaines ! superbes puérilités, orgueilleuses niaiseries ! qu’a donc produit cet homme étonnant, depuis soixante années de veilles assidues et de travaux sans relâche ? Que sont venus faire dans son cabinet les représentans de toutes les puissances de la terre ? Quels importans services ont donc reçu de lui tous les souverains qui ont possédé et perdu la couronne de France depuis un demi-siècle ? Pourquoi cette terreur inconcevable sur laquelle cet homme au doucereux regard a toujours marché, à travers un monde d’obstacles, comme sur un tapis moelleux ? Quelles révolutions a-t-il opérées ou paralysées ? quelles guerres sanglantes, quelles calamités publiques, quelles scandaleuses exactions a-t-il empêchées ? Il était donc bien nécessaire ce voluptueux hypocrite, pour que tous nos rois, depuis l’orgueilleux conquérant jusqu’au dévot borné, nous aient imposé le scandale et la honte de son élévation ! Napoléon, dans son mépris, le qualifiait par une métaphore soldatesque et d’un cynisme énergique ; et Charles x, dans ses jours d’orthodoxie, disait bien bas, en parlant de lui : C’est pourtant un prêtre marié ! Les a-t-il arrêtés dans leur chute terrible, ces maîtres tour à tour par lui adulés et trahis ! Où sont ses bienfaits ? Où sont ses œuvres ? Nul ne sait, nul ne peut, ne doit, ou ne veut déclarer quels titres l’homme d’état inévitable possède à la puissance et à la gloire : ses actes les plus brillans sont enveloppés de nuages impénétrables, son génie est tout entier dans le silence et la feinte. Quelles turpitudes honteuses couvre donc le manteau pompeux de la diplomatie ? Conçois-tu rien à cette manière de gouverner les peuples, sans leur permettre de s’occuper de la gestion de leurs intérêts, et d’entrevoir seulement l’avenir qu’on leur prépare ?