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JACQUES.

son cœur les battemens d’un cœur égal et pareil. Il n’a jamais réussi à briser la barrière qui le séparait de sa maîtresse. Il avait beau s’agenouiller, elle demeurait debout. Chaque fois qu’il essayait d’écarter le voile mystérieux de sa pensée, la nuit redoublait autour de lui. Le cœur qu’il interrogeait, loin de se confesser à haute voix et de redescendre avec lui le cours entier des années révolues, s’armait de résistance, et, comme outragé par sa curiosité, retournait obstinément à sa discrète solitude.

L’amour n’a donc été pour Octave qu’une suite d’extases et d’humiliations. L’excellence de sa nature a tenu tête à l’orage. Malgré les vents contraires qui ébranlaient son espérance et menaçaient de la déraciner, il s’est confié en Dieu dont la clémence vigilante sourit aux affections sincères. À peine s’est-il résigné le jour où s’est brisée la dernière branche. En lisant son arrêt tracé par une main chérie, il a prié le ciel de ramener à lui l’ame dédaigneuse de sa bien-aimée. Il s’est promis de ne plus l’interroger, et d’accepter le passé sans le connaître. Il a fait serment de la suivre et de ne jamais la guider : il a volontairement abdiqué le rôle viril et hardi pour accepter celui de l’obéissance dévouée.

Vains efforts ! elle n’a pas même voulu de sa soumission. Que faire alors ? Courbé sous le malheur et la désolation, Octave ne doit-il jamais relever la tête ? Est-il condamné à ne jamais rencontrer une ame sœur de la sienne ? L’adoration a-t-elle épuisé toutes ses forces ? N’a-t-il pas chance d’oublier le dédain dans la domination, ou seulement dans la confiance ? Tel qu’il est, fatigué par une affection répudiée, il se laissera prendre aux événemens, sans pouvoir les corriger et les conduire.


Sylvia ne peut pas aimer, parce qu’elle a rêvé l’amour impossible. Le type idéal de l’homme qui doit enchaîner son cœur, est placé trop haut et bien au-delà de son atteinte. Sa fierté impatiente a refusé de plier devant les misères mesquines qui ne manquent pas aux plus grands caractères. Pour justifier son isolement et sa tristesse, elle a compté d’un œil impitoyable toutes les faiblesses de l’humanité. Elle a épié avec une attention vigilante l’égoïsme caché sous l’énergie, l’ambition déguisée sous le dévouement, l’ivresse des sens travestie en admiration et en flatterie.