tition en eut lieu pendant l’entr’acte d’une représentation royale, entre le Philtre et la Lectrice. La comédie elle-même s’est représentée à Paris solennellement en plein conseil des ministres, vendredi dernier.
Le maréchal Gérard n’était nullement, vous vous en doutez bien, dans le secret de cette comédie ; vendredi dernier, il remit donc ingénument sur le tapis son amnistie, telle qu’il l’avait portée à Fontainebleau, et telle qu’il l’en avait rapportée.
Au premier énoncé de la proposition, ce ne fut d’abord, parmi les membres du conseil, qu’une voix de fervent assentiment ; tous étaient d’accord là-dessus. — Une amnistie ! mais assurément rien n’était plus humain qu’une amnistie ! rien de plus désirable ! — M. Thiers, que tourmentait, depuis la clôture de la session, une véritable rétention de parole, était trop heureux de prendre cette amnistie au bond, et s’évertua à prouver combien elle serait louable et méritoire. M. Persil lui-même, si hostile le mois précédent à toutes les amnisties en général, et à celle de MM. Decazes et Pasquier en particulier, se rangeait aussi du côté de la mansuétude et de la pitié, et offrait de leur livrer la clé de ses cachots. Le roi souriait et était de l’avis de son conseil.
Mais M. Thiers, dont la pensée capricieuse a des retours sur elle-même, brusques et inattendus, se sentit frappé d’un soudain éclair. Une amnistie, avisa-t-il, n’était point une amnistie, si elle n’était pleine et entière pour tout et pour tous. Excepter les prisonniers de Ham, c’était mutiler l’amnistie et lui ôter cent pour cent de sa valeur. Ce n’était cependant pas l’instant de gracier les ministres de Charles x, lorsque le noyau du carlisme européen grossissait à vue d’œil en Navarre, et allait s’adjoindre, dans la personne de don Miguel, un second prétendant. L’amnistie était donc la plus belle chose du monde, mais elle était encore intempestive ; mieux valait l’ajourner jusqu’à l’heure où elle pourrait être impunément complète et sans restriction.
N’était-ce point là, je vous le demande, un jeu bien joué ? Le maréchal avait trop de bon sens et de bonne foi pour ne point être convaincu par ce raisonnement. Les autres collègues de M. Thiers savaient trop bien leur rôle pour ne point être pénétrés de la même conviction. Tout le conseil fut ainsi du dernier avis de M. Thiers, et le roi sourit encore et fut encore de l’avis de son conseil. Il ne s’est pas donné à Fontainebleau, je vous l’affirme, de meilleure pièce que celle-ci.
M. de Rigny seul manquait à cette représentation extraordinaire de messieurs les comédiens ordinaires du roi. M. de Rigny s’en était allé faire aussi en Belgique son petit dénouement de comédie, tandis que M. le général Sébastiani faisait à Milan le sien. Le ministre et l’ambassa-