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DE LA RÉFORME COMMERCIALE.

nées ne frappent pas d’aveuglement dans cette question, ils ne croient ni que l’Angleterre doive la prospérité de son industrie à son système prohibitif, ni que sa réforme économique lui soit inspirée aujourd’hui par la pensée de duper les autres peuples. Ai-je besoin d’ajouter qu’ils ne la supposent pas davantage inspirée par un pur sentiment philantropique ?

Les institutions de l’Angleterre ont plus rapidement développé chez elle que chez les nations soumises à des gouvernemens moins avancés, les élémens du travail, de l’industrie et du commerce. Plus vite que d’autres, elle a pu mettre son territoire en valeur, le couvrir de voies de communications, les unes dues à l’esprit d’association, les autres à l’esprit municipal, et sans doute il n’est pas besoin de prouver que l’esprit municipal et l’esprit d’association ont été le fruit, en Angleterre, non du système prohibitif, mais de l’ensemble de ses institutions politiques. Plus vite que d’autres, elle a constitué des établissemens de crédit, et organisé sur une grande échelle la circulation des signes représentatifs de la richesse, or ou papier. Prétend-on qu’il y ait quelque lien entre l’état avancé des idées de crédit en Angleterre et ses tarifs de douanes, et n’est-il pas visible que les idées de crédit devaient se développer d’abord chez le premier peuple dont les finances aient été soumises au contrôle de l’élection et de la publicité ?

Quand l’état supérieur de l’industrie d’un peuple peut s’expliquer par l’état supérieur de ses idées d’association, de ses idées de crédit, de ses voies de communications, de ses libertés municipales, de l’ensemble de ses institutions politiques, le système prohibitif est mal venu à revendiquer l’honneur de pareils progrès.

On s’étonne que l’Angleterre parle aujourd’hui si haut pour la liberté commerciale. À considérer l’immensité de ses relations d’échange et leur proportion avec celles de la France, on trouverait que la France parle relativement aussi haut qu’elle. Si, chez nous, avec notre commerce encore si rétréci, avec nos industries si timides, et ayant si peu conscience d’elles-mêmes, il se rencontre cependant des places entières de commerce et des villes de fabrique de premier ordre[1] prenant la défense de la réforme commerciale, comment l’Angleterre, où un si grand développement industriel a dû créer une si générale et si nette intelligence des matières économiques, n’aurait-elle pas l’initiative de cette réforme dans ses actes,

  1. Notamment Bordeaux et le Havre, dont les importantes déclarations nous occuperont plus loin, et Lyon, qui, dans sa belle réponse au ministre du commerce sur les modifications qui pourraient être faites à la loi de douanes, a si largement et si logiquement posé les bases d’une liberté commerciale progressive.