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après le commissionnaire, l’arrête, et le menace de la prison, s’il ne déclare qui lui a remis le billet. C’est peine perdue ; le Savoyard paraît effrayé, mais ne bronche pas, quand le colonel, s’avisant d’un autre stratagème : « Combien t’a-t-on donné pour ne rien dire ? — Cinq francs, mon colonel. — Si je t’en donnais dix, me le dirais-tu ? — Ah ! dame, monsieur, » fit l’autre se grattant la tête ; et le secret fut livré. Je vous demande si ce n’est pas là la logique de l’intérêt prise sur le fait ; entre deux marchés, notre Savoyard s’était tenu au meilleur.

Mais voici qui est mieux assurément ; il s’agit d’une tentation tout aussi vive et qui fut surmontée avec autant de bonheur que le danger célèbre où triompha la sagesse de Joseph. L’héroïne était une jeune et brillante courtisane qui valait bien l’Égyptienne de Putiphar ; le héros de l’histoire, véritable héros, ma foi ! quel que soit le mobile de sa continence, un beau garçon de vingt ans ; le lieu de la scène, un cabinet de bain orné de toutes les recherches de la volupté. Le rusé Savoyard n’en fut pas réduit à abandonner son manteau ; il joua le niais et sortit, l’œil en feu, tout éperdu de ce qu’il avait vu et de ce qu’il n’avait pas osé. Il avait senti que le favori de la belle fille ne pouvait plus être son portefaix. « Elle n’aurait eu qu’à me retirer sa pratique, » s’écriait-il en homme qui fait passer les affaires avant les plaisirs.

Je ne prends pas ici une exception pour en faire un type. Presque tous les Savoyards de la capitale eussent agi de même dans la position de cet autre Joseph. Il n’y a qu’à voir l’austère uniformité de leurs amusemens. Suivez les barrières, le dimanche, de l’est à l’ouest, et du nord au midi ; parmi la foule qui boit, qui jure, qui chante, qui danse et qui se bat, vous ne rencontrerez pas un Savoyard. Ces jeunes gens ont des mœurs de vieillard ; il ne hantent point les bals ni les tavernes, ils ne sont ni joueurs, ni libertins. Cherchez la cause de cette réserve : on leur a dit que les forces du corps s’en allaient dans les plaisirs ; puis, quel est le plaisir qui ne coûte rien à Paris ? Ils ménagent ainsi tout ensemble l’argent qu’ils ont gagné, et les bras qui sont leur gagne-pain.

L’enfant de la Savoie n’est pas comme ces ouvriers de Paris qui choisissent le jour du repos et celui du travail. Le Parisien peut négliger son père, sa mère, sa femme et ses enfans. Qui le retien-