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Savoie. Chaque jour il fortifie le mur de prohibitions élevé depuis 1815 entre les deux pays ; mais le mouvement est plus fort que les obstacles ; quand on ne peut les franchir, on les tourne, et l’ennemi fait irruption par les issues mal gardées. Parmi les articles dont l’exportation est prohibée à la douane de Chambéry, il faut compter les femmes, qui n’ont pas le droit de passer en France avant l’âge de trente-cinq ans. Par cette politique de geôlier, le roi de Sardaigne a voulu obliger les émigrans à faire retour avec leurs économies dans leurs foyers. Mais voici un résultat que le geôlier n’avait pas prévu. Ce qui devait éloigner les Savoyards de la France est précisément ce qui les a rapprochés de nos mœurs. Ne pouvant pas faire ménage à Paris, comme l’Auvergnat, avec les femmes de leur pays, il faut bien qu’ils vivent avec les femmes françaises, quelle que soit la retenue de leur caractère et de leur sang. Les préjugés se sont aplanis dans ce contact ainsi que les distances ; peu à peu la France devient pour eux une seconde patrie, où les mêmes causes qui les attirent finiront aussi par les fixer. Alors toute originalité de race aura disparu par ce mariage d’une population inférieure avec le peuple le plus niveleur et le moins original de l’Europe. Il n’y aura plus de Savoie ni de Savoyards, mais seulement une province de la France, détachée violemment par la conquête, et que la conquête nous rendra tôt ou tard.


Léon Faucher.