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retranchent ; si les écoles se séparent ; si les artistes se retirent ; s’il s’ouvre, sur le terrain où nous sommes, des fentes qui s’élargissent chaque jour et qui en disjoignent de plus en plus les fragmens ; si, dans la grande division de travail qui s’opère, le lien de l’autorité et l’unité de l’ensemble se perdent, il est nécessaire que la raison, appelée au gouvernement des affaires modernes, secoue son repos magnifique, s’enquière fidèlement de toutes les pensées, s’arrête sur tous les symboles. Elle doit s’interdire le dédain, quitter là son manteau de reine, sortir de son palais solitaire, et s’en aller quêter la vérité en tous lieux et distribuer partout sa justice. C’est à elle qu’il est réservé de découvrir et de raffermir l’unité qui s’oublie sous les dissemblances infinies de notre civilisation.

Il n’y a pas bien long-temps qu’un pirate littéraire nous a rapporté d’outre-mer une satire véhémente dirigée contre l’état présent des lettres françaises. Ce manifeste n’avait pas plus de force et de pénétration que n’en peuvent montrer les whigs de la Revue d’Édimbourg ; il était même peu digne de la sévérité anglaise ; il mêlait des œuvres et des noms qui ne s’étaient encore trouvés ensemble nulle part ; il mettait à froisser des chefs-d’œuvre la même légèreté qu’à ramasser des nullités authentiques ; il laissait à découvert une ignorance si grande des faits, et une inexactitude d’informations si contraire aux préceptes de l’analyse puritaine, qu’on s’explique facilement le peu d’inquiétude qu’il a excité parmi nous.

Cet article de la Revue d’Édimbourg contenait pourtant un reproche grave dont nous avons peut-être trop méprisé l’avertissement, et dont il convient de mesurer mieux la portée. Il nous blâmait de n’avoir point conservé la communauté de désirs et de tendances qui a donné à la littérature du xviiie siècle son influence et sa gloire irrésistibles. Il exaltait ainsi la mission illustre de nos devanciers, pour faire plus efficacement ressortir la vanité de nos efforts.

Le respect que cette comparaison exprime pour les monumens antérieurs de notre littérature nationale, doit nous rendre indulgens pour l’injustice qu’elle nous réserve. Et puis nous ne pouvons refuser le jugement de nos pères. Si vraiment ils sont inquiets dans leur tombe, s’ils ont soulevé leur pierre tumulaire pour accuser l’impiété des vivans, qu’importe la voix qui a évoqué leur colère ?

Assurément, nous découvrons aujourd’hui des divisions qui n’étaient pas au dernier siècle ; mais peut-être sont-elles plus apparentes que fondamentales, peut-être notre esprit a-t-il séparé des choses qui se tiennent dans la réalité ; peut-être nous sommes-nous complu à isoler des œuvres, des hommes et des écoles qui, sous des diversités accidentelles, cachent une action concentrique ; peut-être l’unité existe-t-elle en effet dans notre