Nous pourrions même sans danger ne pas choisir les œuvres avec lesquelles nous voulons constater les progrès de la littérature française. Les livres que nous trouvons sous notre main suffiront certainement à notre preuve. Et ce n’est point sur notre raison, mais sur les desseins infaillibles du siècle, que nous comptons.
Remercions tout d’abord M. Reveillé-Parise de s’être si complaisamment dévoué à la santé des gens de lettres, et d’avoir mis dans ses deux volumes[1] une recherche si éclairée des anecdotes du passé, une scrutation si délicate de la physiologie du tempérament artiste, un soin si minutieux de l’hygiène littéraire. Voilà donc que notre littérature aussi a son médecin, et non pas un docteur noir et diabolique, comme celui dont vous connaissez l’humour et les spirituelles leçons, mais un médecin qui s’occupe de votre corps négligé pour des spéculations moins vulgaires, qui vous tâte le pouls avec une main fraîche, qui vous égaie par une historiette, qui vous prie de lui lire vos vers, et qui règle votre régime en riant.
Le point de vue auquel M. Reveillé-Parise se place pour apprécier la physiologie des personnes livrées aux travaux de l’esprit, n’est pas exclusivement matérialiste. Cependant, sans récuser la vérité des faits observés sur lesquels il base sa loi fondamentale du tempérament artiste, nous eussions souhaité qu’il ne les eût pas justifiés par eux-mêmes, et que, pour les expliquer, il fût entré plus avant dans la recherche des relations de la pensée et de ses organes. M. Reveillé-Parise compose l’idiosyncrasie de l’homme de lettres avec une sensibilité nerveuse originelle, capable de recevoir des impressions plus vives, mais provoquant une diminution graduelle et presque absolue de la contractilité, principe de toute l’action humaine. Selon ce système, la passivité détruirait l’activité chez les hommes d’intelligence. Mais il nous semble que c’est faire la part des fatalités objectives trop grande, que de placer en elles le motif principal de la destruction, et de leur donner une influence si invincible. L’activité ne serait-elle pas au contraire la source de la gloire et des infirmités de l’artiste ? Et, pour parler le langage de la science, les maladies des gens de lettres ne se rapporteraient-elles pas beaucoup plus à l’hypersthénie qu’à l’hyperesthésie ?
Le second volume est divisé en deux parties. L’une contient la physiologie-pathologique de la vie littéraire ; l’autre est réservée à l’hygiène convenable. Précisément dans ces deux dernières parties, M. Réveillé-
- ↑ Physiologie et hygiène des hommes livrés aux travaux de l’esprit, par J.-H. Reveillé-Parise, docteur médecin.