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fois de la hardiesse de ses confidences et de la peinture qu’il me traçait de la situation des esprits en Palestine ; j’admirais mon cadi comme vous admiriez à Constantinople votre sage naïb aux paroles éloquentes. — Quelle est votre pensée sur notre pays ? m’a dit Saïed. — Je crois, comme vous, que quelque chose se prépare, et que d’autres maîtres vont venir ; je puis vous annoncer que, pour l’instant présent, ce n’est point de l’Occident que partiront les vaisseaux libérateurs ; il se fait de ce côté-là un travail pénible qui empêche qu’on ne se tourne vers votre horizon. Ce sera plus vraisemblablement une voile arabe qui vous amènera la conquête ; mais la conquête sera-t-elle pour vous la délivrance ? Quand le vainqueur ouvrira sa main sur vous, sera-ce le bien, sera-ce le mal qui s’en échappera ? J’entends dire de tous côtés que l’Égypte est malheureuse sous son pacha, je vois à Razzé une foule d’Égyptiens fugitifs qui regardent comme un bonheur de ne plus habiter les terres de Mohammed-Ali ; cela n’annonce-t-il point que de nouvelles misères suivront la domination nouvelle ? Mohammed-Ali veut la Syrie, non pour affranchir des esclaves, mais pour augmenter ses ressources ; l’Égypte dépeuplée, ruinée, ne peut plus suffire aux besoins dévorans du maître : il faut au visir d’autres terres, d’autres hommes, et la Syrie va devenir sa proie. Toutefois on peut douter que le despotisme de Mohammed-Ali trouve en Syrie autant de facultés qu’en Égypte. Là bas, sur les bords du Nil, on mène le peuple comme un faible troupeau ; dans le pays d’Hébron, de Jérusalem, de la Galilée et du Liban, ce n’est point un troupeau facile qu’on rencontre ; il y a là vingt peuplades indociles et belliqueuses qui ont des montagnes pour citadelles, et qui aiment mieux une guerre éternelle qu’une éternelle oppression. Ainsi donc vous aurez changé peut-être des renards pour des loups, des milans pour des vautours, et sous quelque point de vue que je considère le prochain avenir de la Syrie, je n’y vois que les calamités du despotisme ou de la guerre.

Triste destin de mon pays ! s’est écrié Saïed-Ali ; combien j’aurais béni Dieu s’il m’avait rendu assez riche pour aller vivre loin d’ici, dans les régions des Francs où l’on dit que les hommes ne gémissent point sous l’oppression ! Puisque tout ce qui nous vient d’Orient est servitude et tyrannie, dites à la France de nous accor-