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pensée, et que son cœur débordait de sentiment religieux, il lui fallait parler allemand. Son langage est comme une source des montagnes, qui perce le dur rocher, eau merveilleusement imprégnée d’aromates inconnus et de vertus métalliques. Mais ce ne fut que dans les temps modernes qu’on remarqua la rare propriété de la langue allemande pour la philosophie. Dans aucune autre langue, la nature n’aurait pu révéler son mot le plus mystérieux, comme dans celle de notre chère patrie allemande. Ce n’est que sur le chêne robuste que peut croître le gui sacré.

Ce serait bien ici le lieu de mentionner Paracelse, ou Aureolus Theophrastus Paracelsus Bombastus de Hohenheim, ainsi qu’il s’appelait lui-même ; car lui aussi écrivit presque toujours en allemand. Mais j’aurai plus tard à parler de Paracelse sous un point de vue plus important. Sa philosophie était ce que nous appelons aujourd’hui philosophie de la nature, et cette doctrine d’une nature animée par les idées, qui s’accorde si intimement avec l’esprit allemand, aurait, dès-lors, pris racine chez nous, si, par l’influence étrangère, la physique inanimée et toute mécanique des cartésiens n’eut usurpé l’empire universel. Paracelse était un grand charlatan : il portait toujours un habit et une culotte écarlates, des bas rouges et un chapeau rouge, et prétendait pouvoir créer de petits hommes, homunculos ; au moins était-il sur le pied le plus familier avec les esprits invisibles qui habitent les divers élémens. Mais il fut en même temps l’un des plus profonds naturalistes qui, avec une ardeur d’investigation toute allemande, comprirent les croyances populaires antichrétiennes, le panthéisme germanique, et il devinait très juste ce qu’il ne savait pas.

Je devrais naturellement parler aussi de Jacob Bœhm, car il a également appliqué la langue allemande à des démonstrations philosophiques. Mais je n’ai pu me décider encore à le lire, même une seule fois : je n’aime pas à me laisser duper. Je soupçonne fort les preneurs de ce mystique d’avoir voulu mystifier les gens. Quant au contenu de sa doctrine, Saint-Martin vous en a donné quelque chose en langue française. Les Anglais l’ont aussi traduit. Charles Ier avait une si grande idée de ce cordonnier philosophe, qu’il envoya tout exprès à Wœrlitz un savant pour l’étudier. Ce savant fut plus heureux que son royal maître ; car, pendant que celui-ci perdait