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Dante.

ment du combat, douze cavaliers d’élite, nommés Paladins, pour fondre, comme des enfans perdus, sur l’ennemi, en avant de la cavalerie, qu’ils devaient enflammer et entraîner par leur exemple. Cet usage fut suivi à Certomondo. La cavalerie florentine était commandée par Vieri de’ Cerchi, personnage déjà fameux à Florence, mais sur le point de le devenir bien davantage, comme chef de parti. C’était à lui de désigner les douze paladins qui devaient engager le combat. Il fit quelque chose d’inattendu : il se désigna d’abord lui-même, bien que souffrant d’une jambe ; il nomma ensuite son fils, et pour troisième, son neveu ; après quoi, il ne voulut plus choisir personne, « chacun devant, dit-il, rester libre de manifester son amour pour son pays. » Une conduite si noble ne manqua pas son effet : cent cinquante guerriers à cheval, au lieu de douze, se présentèrent, demandant à être faits paladins, et le furent.

Dante était peut-être l’un de ces cent cinquante cavaliers : il est sûr au moins qu’il combattit près d’eux, aux premiers rangs de l’armée. C’est ce que nous apprend Leonardo d’Arezzo, d’après une lettre de Dante, aujourd’hui perdue, mais que le biographe avait sous les yeux, et dans laquelle notre poète avait minutieusement décrit la bataille de Certomondo : il y parlait naïvement des émotions diverses, des craintes, des inquiétudes qu’il avait éprouvées dans le cours de cette bataille, et qui lui avaient fait goûter plus vivement l’ivresse et la joie de la victoire.

Des chagrins de tout genre attendaient Dante à Florence, à son retour de Certomondo. À peine rentré dans ses foyers, il fut atteint d’une infirmité qui le fit vivement souffrir durant plusieurs jours. Quand il fut guéri, il eut à partager la douleur que causa à Béatrix la mort de Folco de’ Portinari son père. Enfin, il fut frappé plus directement et aussi cruellement qu’il pouvait l’être : Béatrix mourut le 9 juin 1290, dans la vingt-sixième année de son âge, depuis quelque temps mariée à un personnage de la noble famille des Bardi.

Tout ce que Dante put faire dans les premiers temps de cette perte, ce fut de pleurer et de s’abandonner sans réserve à sa douleur. Des mois se passèrent avant qu’il pût essayer d’exhaler ses regrets dans des vers en l’honneur de Béatrix. Alors il la célébra, la pleura, la divinisa dans mainte canzone et maint sonnet ; et le cadre de ces compositions lui paraissant trop étroit ou trop vulgaire pour tout ce qu’il avait à dire sur un tel sujet, il écrivit une lettre latine, adressée aux rois et aux princes de la terre, pour leur peindre la désolation où la mort de Béatrix venait de laisser Florence et le monde entier. Pour début de cette lettre, il avait pris les fameuses paroles de Jérémie : Quomodo sedet sola civitas plena