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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

encore préféré les faire connaître par notre traduction, quelque défectueuse qu’elle soit. C’eût été au moins un portrait peint d’après l’original, et non un signalement de passeport ; mais l’espace nous manque pour suivre une pareille marche. La reproduction des principaux chants populaires de la Bretagne remplirait un volume, et nous pouvons à peine disposer de quelques pages. On nous pardonnera donc de réduire notre tableau aux dimensions du cadre : on tâchera surtout de suppléer, par la pensée, à ce qui manquera à nos traductions ; de deviner les charmes dont nous n’aurons pu conserver qu’une ombre. Les poésies populaires sont encore plus difficiles à traduire que les autres. Elles ressemblent aux fleurs et aux fruits particuliers à chaque contrée ; pour en sentir toute la suavité, il faut les cueillir sous leur ciel. Ces chants, que je donne ici, tout pâles du voyage qu’ils ont fait pour passer de leur langue dans la nôtre, sont comme les oranges que les marins nous apportent des pays lointains, demi-flétries, et ayant à peine conservé un reflet de leur couleur dorée, une trace de leur parfum délicieux.

Les cantiques occupent le premier rang parmi les chants de la Bretagne, et par leur nombre, et par leur popularité ; mais l’on s’en ferait une idée complètement fausse, si on en jugeait d’après les misérables rapsodies françaises qui se psalmodient dans nos églises, sur des airs d’opéra. La valeur poétique du cantique breton n’est nullement inférieure à celle des autres chants celtiques. Cette différence est, du reste, facile à concevoir. Dans notre province, la poésie a conservé son premier caractère religieux ; Dieu n’y est pas encore tombé dans le domaine des bouts-rimés, et les grandes images du ciel et de l’enfer, du jugement et de l’éternité, n’ont point été abandonnées, avec les charades, aux Muses de la rue des Lombards. Nos poètes les plus habiles sont des chrétiens fervens qui se font gloire de célébrer leurs croyances. Chaque canton a son David en sabots, qui chante et qui prie ; aussi les cantiques bretons sont-ils innombrables : du reste, revêtant toutes les formes, ce sont tantôt des psaumes terribles et insensés comme ceux d’Isaïe, tantôt de naïves et douces élégies comme celles de l’Ecclésiaste. Poésie tour à tour gigantesque, sombre et ingénue ; riche comme un soleil couchant, ou nue comme une tombe ; plus