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parfois un peu de tragédie, mais de tragédie à hauteur d’homme, qui se termine bourgeoisement sans poignard ni poison, et qui vous touche sans vous bouleverser. — C’est spécialement à cette loyale et consciencieuse simplicité qu’il faut attribuer le charme merveilleux que respirent nos ballades populaires ; l’Héritière de Keroulas en fera foi.

L’Héritière de Keroulas.

— Que l’héritière de Keroulas est heureuse d’avoir une robe de satin bleu pour danser avec les gentilshommes !

Ainsi disait-on dans la grande salle quand l’héritière y entra pour danser ; — car le marquis de Mesle y était avec sa mère et une suite nombreuse.

Et l’héritière de Keroulas disait : — Oh ! que ne suis-je petit pigeon bleu, comme ceux qui se perchent sur le toit de Keroulas, pour entendre ce qui se trame entre sa mère et la mienne !

Ce que je vois me fait trembler ; ce n’est pas sans projets qu’ils sont venus de Cornouailles, quand il y a dans la maison une héritière à marier.

Avec sa fortune et son nom, ce marquis-là ne me plaît pas ; mais j’aime Kerthomas depuis long-temps, je l’aime et je l’aimerai jusqu’à mourir.

Et Kerthomas aussi était inquiet, en voyant ceux qui étaient arrivés à Keroulas ; car il aimait l’héritière, et on l’entendait souvent dire :

— Je voudrais être petite sarcelle, nageant sur l’étang où on lave ses vêtemens. Oh ! avec quel bonheur je baignerais mes yeux dans ses eaux !

Car la petite bécassine qui fait sa nichée sous la glace du marais a moins de fraîcheur autour d’elle, que je n’ai d’amour au fond de mon cœur ! —

L’héritière dit à sa mère : Ma mère, madame, je vous en supplie, ne me donnez pas au marquis de Mesle, donnez-moi plutôt à Kerthomas ; c’est lui qui est le plus doux à mes yeux.

Je suis allée à Châteaugal[1], et tout y était triste et abandonné.

  1. Terre du marquis de Mesle.