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Dante.

relèvera les opprimés, s’ils ne peuvent recourir à nous ? » — C’étaient là de belles paroles ; nous allons voir comment les effets y répondirent.

Au point d’exaspération où en étaient arrivés, dès le commencement de l’année 1300, les partis des Blancs et des Noirs, il ne fallait qu’une occasion pour les mettre aux prises, et cette occasion ne tarda pas à se présenter.

J’ai déjà parlé des réjouissances qui avaient lieu tous les ans à Florence au retour du printemps. La soirée du 1er mai 1300, la place de la Sainte-Trinité se trouvait pleine d’hommes, d’enfans, de femmes et de jeunes filles, qui s’ébattaient, chantaient et dansaient. Au milieu de cette foule joyeuse viennent à se rencontrer deux nombreuses et brillantes cavalcades, composées, l’une de jeunes gens de la famille des Cerchi, chefs du parti des Blancs ; l’autre de jeunes gens des Donati, chefs de la faction des Noirs. Les deux bandes s’irritent à la vue l’une de l’autre ; elles passent des menaces aux coups, et il y a bientôt des blessures et du sang. Au premier bruit de la querelle, les adhérens de chaque parti prennent les armes ; ils s’établissent et se retranchent dans leurs postes accoutumés, et Florence passe de la sorte, en un clin d’œil, des joies d’une fête populaire à la guerre civile.

Boniface viii, informé par ses agens de la rupture entre les deux factions, et voyant le péril dans lequel les Noirs venaient de se jeter, se hâta de les secourir. Il envoya à Florence le cardinal Matteo Aquasparta, personnage considéré pour son savoir et sa piété, avec l’ordre d’y rétablir la paix et d’y réformer le gouvernement, de manière à ce que les honneurs et les emplois publics fussent, comme auparavant, également partagés entre les deux partis. Le cardinal arriva et fut bien accueilli. Mais les Blancs, qui se défiaient des intentions du pape à leur égard, étaient résolus à ne point admettre l’intervention de son légat, et à ne point lui accorder le pouvoir de réformer le gouvernement. Les partis restaient donc en présence, les armes à la main, plus que jamais mécontens, irrités et entraînés à terminer leurs différends par la force. Le cardinal d’Aquasparta, venu à Florence pour remettre les Noirs en partage du gouvernement, n’y restait plus que pour les soutenir en secret par des conspirations et des intrigues, s’exposant de la sorte à toutes les conséquences de la colère des Blancs.

Telle était la situation de Florence au commencement du mois de juin 1300, au moment où les six prieurs ou gouverneurs de la république, dont les fonctions allaient expirer le 15 du même mois de juin, eurent, selon l’usage, à désigner leurs successeurs. Dans un moment si critique, leur choix devenait beaucoup plus grave et plus difficile qu’à l’ordinaire. Ils