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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

du chef de la flotte grecque, simulée par une baraque égratignée où l’on n’oserait pas montrer les singes !

Cette belle et noble tragédie, si simple et si sévère, si pareille dans ses majestueuses draperies, dans son attitude contenue, aux premiers âges de la sculpture éginétique, demi-divine et demi-humaine, qu’est-elle devenue entre les mains ignorantes de ces prêtres obstinés ? Ne viendra-t-il pas un docteur jeune et hardi pour chasser tous ces publicains du temple ?

Molière aussi est livré pieds et poings liés à l’impitoyable tradition. Vainement a-t-il brisé son vers pour échapper à la mélopée nasillarde qui n’était pas inconnue à l’Hôtel de Bourgogne, et qu’il prévoyait dans un avenir indéfini ; vainement a-t-il donné à sa parole toute la souplesse de la pourpre tyrienne ; l’amant de la Béjard n’est pas plus heureux que l’amant de la Champmêlé : M. Saint-Aulaire fait la partie de M. David.

Pour des acteurs sérieux l’ancien répertoire devrait être un perpétuel sujet d’études et d’émulation ; mais je voudrais la lutte généreuse, entière, sans restriction, sans arrière-pensée, sans privilége ; et ce qui se passe sous nos yeux à la Comédie-Française est loin de réaliser nos vœux.

On sait l’excellence de Mlle Mars dans Célimène, Araminte, et Sylvia ; il est impossible de surpasser l’élégance et la netteté de sa diction, de donner à chaque mot une valeur plus vraie, d’indiquer plus finement, sans exagération et sans guinderie, les moindres intentions d’un rôle ; c’est là un beau patrimoine, et qui devrait suffire à son orgueil. Qu’elle soit plus admirable encore dans Marivaux que dans Molière, peu importe à sa gloire, si elle est exquise dans tous les deux. Mais pourquoi défendre comme un domaine inaliénable les rôles qui ont été pour une autre, qui pourraient être encore l’occasion d’un triomphe ? Mme Dorval a joué dans plusieurs grandes villes de France, Suzanne du Mariage de Figaro ; elle a montré dans ce rôle des qualités précieuses ; elle n’a pas copié Mlle Mars, elle n’a pas même songé à l’imiter ; elle a compris le personnage à sa manière. Au lieu d’une coquetterie malicieuse, réfléchie et contenue dans ses moindres élans, plus savante que vive, et que Mlle Mars traduit à merveille, elle a trouvé dans Beaumarchais une jeune fille fière de sa beauté, confiante en elle-