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DES ORIGINES DU THÉÂTRE EN EUROPE.

Le Théâtre Français, c’est-à-dire la véritable scène tragique et comique, a une origine également sacerdotale. Cependant il en a aussi une autre, dont il faut bien tenir compte, et dont il reste encore aujourd’hui des traces. Les affiches de la Comédie-Française portent imprimés, chaque jour, ces mots qui n’ont plus, il est vrai, depuis long-temps, qu’un sens traditionnel et nominal : Les comédiens ordinaires du roi donneront ce soir… Les comédiens ordinaires du roi, messieurs !… C’est qu’en effet ces comédiens que le public regarde, et avec raison, comme siens, ce n’est que par concession, et après avoir été long-temps les comédiens exclusifs de la royauté, qu’ils sont devenus peu à peu les nôtres ; les rois eurent long-temps des comédiens et des poètes attitrés, comme quelques-uns ont encore des musiciens et des maîtres de chapelle. Molière, qui composa pour les divertissemens de Vaux et le surintendant Fouquet, sa comédie des Fâcheux, pour les fêtes de Versailles la Princesse d’Élide et George Dandin, pour celles du Louvre et des Tuileries Psyché et le Mariage forcé, pour celles de Chambord Monsieur de Pourceaugnac et le Bourgeois gentilhomme, pour celles de Saint-Germain les Amans magnifiques et la Comtesse d’Escarbagnas, Molière, qui associa sa plume tantôt à celle de Corneille, tantôt à celle de Benserade, pour tracer des ballets et des divertissemens où pût danser Louis xiv ; Corneille, qui fut un moment le poète du cardinal de Richelieu, avant que le Cid l’eût fait le poète de la France ; Racine, qui écrivit pour les récréations de Saint-Cyr et pour les royales pensionnaires de Mme de Maintenon Esther et Athalie ; Shakspeare, qui fut le poète favori d’Élisabeth et de Jacques Ier ; Machiavel, qui assaisonna sa Mandragore pour le délicat épicuréisme de Léon x ; Racine, Corneille, Molière, Shakspeare, Machiavel, ces premiers dramatistes de leurs nations, sont à la fois les derniers, ou à peu près les derniers poètes, qui aient travaillé à divertir, à titre d’office, les princes et les souverains. Ces noms impérissables, l’honneur de leur siècle et de leur pays, viennent clore, d’une manière bien inattendue, en vérité, cette longue liste de bardes, de jongleurs, de ménestrels, de compositeurs de ballets, d’ordonnateurs de fêtes, de bouffons royaux, dont nous devrons tracer l’histoire à la fois mélancolique et grotesque, à commencer par les porteurs de marottes, rasés et chauves, et à finir