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d’une main téméraire avait plongé dans le vide céleste, devient maintenant quelque chose de courbé, d’humblement chrétien, qui soupire beaucoup d’amour. C’est la seconde période de Fichte qui nous convient fort peu ici. Son système entier subit les plus étranges modifications. C’est à cette époque qu’il écrivit la Destination de l’homme, qu’on vous a traduite dernièrement. L’Instruction pour parvenir à la vie bien-heureuse est un livre de même espèce, qui appartient également à cette période.

Fichte, homme opiniâtre, ce qui va sans dire, ne voulut jamais convenir de cette grande transformation. Il soutint que sa philosophie était toujours la même, et que l’expression seule en était changée et améliorée. Il prétendait aussi que la philosophie de la nature, qui surgit alors en Allemagne et supplanta l’idéalisme, était tout-à-fait son propre système au fond, et que son élève, M. Joseph Schelling, qui s’était détaché de lui et avait introduit cette philosophie, n’avait fait que retourner les termes et étendre son ancienne doctrine par des additions fastidieuses.

Nous arrivons ici à une nouvelle phase de la pensée allemande. Nous venons de prononcer les noms de Joseph Schelling et de philosophie de la nature ; mais comme le premier est passablement inconnu ici, et que le mot philosophie de la nature n’est pas trop bien compris, il faut que j’en donne le sens. Nous ne pouvons sans doute épuiser cette matière dans cette esquisse ; nous ne voulons que prévenir aujourd’hui quelques erreurs, et attirer un peu l’attention sur l’importance sociale de cette philosophie.

Il faut d’abord convenir que Fichte n’avait pas grand tort de soutenir que la doctrine de M. Joseph Schelling était tout-à-fait la sienne, mais autrement formulée et augmentée. Fichte, tout comme M. Joseph Schelling, enseignait : qu’il n’existe qu’un seul être, le moi, l’absolu ; il enseignait également l’identité de l’idéal et du réel. Dans la Doctrine de la science, comme je l’ai démontré, Fichte, au moyen d’un acte intellectuel, avait voulu construire le réel par l’idéal. M. Joseph Schelling a renversé la chose, il a cherché à faire sortir l’idéal du réel. Pour m’exprimer plus clairement, partant du principe que la pensée et la nature ne sont qu’une seule et même chose, Fichte arrive, par l’opération de l’esprit, au monde des faits ; par la pensée, il crée la nature ; par l’idéal, le