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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

réellement lui être imputé ; car l’idée de la philosophie de la nature n’est pas dans le fond autre chose que l’idée de Spinosa, le panthéisme.

La doctrine de Spinosa et la philosophie de la nature, telle que M. Schelling l’a exposée dans sa meilleure période, ne sont essentiellement qu’une seule et même chose. Les Allemands, après avoir dédaigné le matérialisme de Locke, et poussé jusqu’à ses dernières conséquences l’idéalisme de Leibnitz, qu’ils trouvèrent également stérile, sont venus à la fin au troisième fils de Descartes, à Spinosa. La philosophie a de nouveau accompli une grande rotation, et l’on peut dire que c’est la même qu’elle a déjà accomplie, il y a deux mille ans, en Grèce. Mais en examinant de plus près ces deux mouvemens, on y découvre une différence essentielle. Les Grecs eurent d’aussi hardis sceptiques que nous : les Eléates ont nié la réalité des choses sensibles aussi nettement que nos modernes idéalistes transcendantaux ; Platon a retrouvé, aussi bien que M. Schelling, le monde de l’esprit dans le monde des faits ; mais nous avons un avantage sur les Grecs, ainsi que sur l’école cartésienne, nous avons un avantage, et voici lequel :

Nous avons commencé notre rotation philosophique par une recherche des sources de nos connaissances, par l’examen de l’intelligence humaine, par la critique de la raison pure de notre Emmanuel Kant.

À propos de Kant, je dois ajouter aux observations précédentes que la seule preuve de l’existence de Dieu qu’il ait laissé subsister, la preuve dite morale, a été culbutée avec un grand éclat par M. Schelling ; mais j’ai déjà remarqué que cette preuve n’est pas d’une force singulière, et que Kant ne l’a peut-être accordée que par bonté d’âme. Le dieu de M. Schelling est le dieu-monde de Spinosa : au moins l’était-il en 1801, dans le second volume du Journal de Physique spéculative. Ici Dieu est l’identité absolue de la nature et de la pensée, de la matière et de l’esprit, et l’identité absolue n’est pas la cause du monde, mais elle est le monde-même : elle est donc le dieu-monde. Il n’existe en lui ni oppositions, ni séparations. L’identité absolue est aussi la totalité absolue. Un an plus tard, M. Schelling a développé son dieu encore davantage,