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SONNETS DE SHAKSPEARE.

Aussi, que savons-nous de Shakspeare ? Bien peu de chose : le rang de son père, premier magistrat de Stratford sur Avon, puis marchand de laines ; son mariage, à dix-sept ans, avec la fille d’un riche laboureur nommé Hataway ; son procès avec sir Thomas Lucy, sur les terres de qui il tue un daim à la chasse ; sa fuite à Londres, où de gardeur de chevaux à la porte du théâtre, il devient comédien de second ordre, puis auteur sans égal ; enfin, au milieu de sa plus grande gloire, son retour dans son humble pays, où il meurt à cinquante-trois ans. Voilà à peu près tout ce qu’on sait de ce merveilleux génie, si admirable de modestie et de simplicité ; et dans cette disette de renseignemens, comment les biographes ont-ils pu négliger des sonnets qui, s’ils n’ajoutent pas précisément de nouveaux faits au petit nombre de ceux déjà connus, révèlent du moins une partie intime de cette belle ame, où l’on trouve l’histoire de ses amours pendant plusieurs années avec une femme qu’il a la délicatesse de ne pas nommer une seule fois, même par son nom de baptême ? car, malheureusement encore pour notre curiosité, la littérature cynique n’était pas à la mode de son temps : Jean-Jacques Rousseau n’avait pas donné l’exemple, si bien suivi de nos jours, de faire les confessions des autres sous prétexte d’écrire les siennes.

Ils ignorent sans doute, les biographes, que ces sonnets ne sont pas, comme on pourrait le croire, des poésies détachées et sans suite entre elles, que ce sont autant de strophes d’un poème amoureux.

En vérité, je veux faire avec ces sonnets un roman intitulé les Amours de Shakspeare, un petit livre comme Simple Histoire, de Mrs Inchbald, qui plaise par la sobriété, sans un grand intérêt d’incidens et de péripéties, dont les événemens ne se révèlent au lecteur que par la nuance des sentimens, qui attache par le développement gradué d’une passion timide dans ses espérances, discrète dans son bonheur, résignée dans ses peines, avant tout et toujours désintéressée. Son histoire est celle de bien des amours, j’allais dire de tous. Il aime, il supplie, il obtient, il est trompé ; puis les brouilles, puis les raccommodemens ; tout cela, sans doute, n’est pas bien neuf, mais la nature, qui seule est bonne, dit Pascal, est toute familière, toute commune. — Voyons donc.