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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

bre voisine, j’appelai Francesco et le chargeai de dire à la maîtresse de l’auberge qu’elle pouvait disposer, en faveur de ces dames, de la chambre qu’elle m’avait donnée, et qui se trouvait toute chauffée, chose qui me parut fort essentielle pour des voyageurs qui arrivent dans l’état où je venais d’apercevoir les nôtres.

Aussi, cinq minutes après, je recevais par Francesco les actions de grâces de ces dames et de leurs cavaliers, qui me faisaient demander la permission de changer de vêtemens avant de venir me remercier eux-mêmes.

Lorsqu’ils entrèrent, je m’occupais des préparatifs de mon dîner, qu’ils m’invitèrent à interrompre pour partager le leur. J’acceptai. C’étaient deux hommes de trente-quatre à trente-six ans, l’un Français, gai, spirituel, bon compagnon, portant ruban rouge et figure ouverte, vieille connaissance des rues et des salons de Paris, où nous nous étions croisés vingt fois, comme cela arrive entre gens du monde ; l’autre pâle, grave et empesé, portant ruban jaune et figure froide, parlant français juste avec ce qu’il fallait d’accent pour prouver son origine allemande ; du reste, complètement étranger à mes souvenirs. Ils n’avaient pas fait un pas dans ma chambre que j’avais flairé le compatriote et l’étranger ; ils n’avaient pas dit vingt paroles que je savais qui ils étaient : le Français se nommait Brunton, et je me rappelai le nom de l’un de nos architectes les plus distingués ; l’Allemand se nommait Kœfford, et était chambellan du roi de Danemark.

Après les premiers complimens échangés, j’appris que les dames étaient visibles ; en conséquence M. Kœfford se chargea de me conduire près d’elles, tandis que M. Brunton descendait à la cuisine ; à tout hasard j’indiquai à celui-ci certaine marmite bouillant à la crémaillère, et de laquelle s’échappait une odeur tout-à-fait succulente ; il me promit de s’en occuper.

Je trouvai dans les femmes les mêmes différences nationales que chez leurs maris. Ma vive et jolie compatriote se leva en m’apercevant, et m’avait déjà remercié vingt fois avant que sa compagne eût achevé la révérence d’étiquette avec laquelle elle m’accueillit. Celle-ci était une grande et belle femme, blanche, pâle et froide, n’ayant de flamme en tout le corps que l’étincelle mouvante qui s’éteignait noyée dans ses yeux.