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DE LA CRITIQUE FRANÇAISE.

le retour au passé, parce qu’une pareille tentative affligerait sa paresse ; elle regarde en arrière pour mesurer le chemin parcouru, et s’effraie en voyant qu’il reste encore de l’espace à la génération nouvelle.

Demander aux poètes sympathie et respect pour la critique indifférente, n’est-ce pas une raillerie injurieuse ?


Il y a une classe de critiques fort aimés du public, admirés dans les salons, complimentés à leur entrée, autour desquels on se range avec empressement et qui vivent heureux, avec assez de bruit, et sans trop d’envie : je veux parler des critiques spirituels. Chez eux, l’esprit est une profession, une faculté qui dispense de la prévoyance et de la mémoire ; ils dédaignent l’étude comme une futilité, la réflexion comme un enfantillage, la comparaison comme une fatuité universitaire. Le critique homme d’esprit trouve en lui-même toutes ses ressources, mais il organise sa dépense de manière à ne jamais rien débourser ; il a l’air de mener un train de prince, de jeter l’or par les fenêtres, de puiser à pleines mains dans ses coffres, et pourtant chaque jour il s’éveille insouciant et joyeux ; il contemple d’un œil serein et superbe le trésor inépuisable que ses profusions ne peuvent appauvrir.

Ne lui demandez pas pourquoi il dit : oui, pourquoi il dit : non. Vraiment, il n’en sait rien. C’est un homme sans volonté, qui ne délibère jamais avant de prononcer ; son unique désir, sa constante ambition, c’est d’éblouir, d’amuser la foule, d’appeler sur lui l’attention. Pourvu qu’il arrache un sourire à l’oisiveté ennuyée, pourvu qu’il déride le front de la bourgeoisie affairée, sa tâche est remplie ; il peut s’applaudir et s’admirer : il a touché le but qu’il prétendait ; il ne regrette pas une seule de ses paroles comme inutile et mal comprise ; il ne craint pas l’ironie ou la colère. Il cherchait la gaieté, il l’a trouvée ; il voulait tirer du choc des mots une gerbe d’étincelles, il a réussi : il ne souhaite rien au-delà.

Pour atteindre ce but glorieux, d’ordinaire il a recours au paradoxe. Quand une opinion, préparée de longue main, commence à s’établir ; quand une idée, lentement mûrie, fécondée par la discussion, par la haine des partis, resplendit environnée chaque jour d’une popularité croissante, le critique homme d’esprit ajuste