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pleurs l’exaltation d’une âme au désespoir, le maître s’émeut, court à son clavier et chante : Ombra adorata. Étrange musique ! hymne de douleur et d’amour ! dernier chant d’une ame de vingt ans, dont la plus douce illusion s’est enfuie et qui va s’envoler après elle. Voilà tout ce qui doit rester de Zingarelli ; cet air est immortel, la partition de Roméo n’existe pas. À d’autres plus puissans le soin et la gloire de compléter l’œuvre de Shakspeare ! Sur la page où le maître italien a dessiné sa vignette d’or fin, il reste encore assez de place pour ceux qui viendront après lui.

Et maintenant, quel opéra ferait un homme de génie avec Roméo, sujet vaste et profond, qui seul épuiserait toute la grâce mélancolique de Cimarosa, toute la fantaisie de Weber ! Quel bonheur de combiner ensemble ces deux voix jeunes et timides, qui commencent à chanter dans le bal, continuent la nuit sous les arbres en fleurs, et ne cessent de s’appeler et de se répondre que sous la pierre du sépulcre. Ô poésie, tu demeures triste et confuse en face d’une telle scène ! Voilà ces deux êtres charmans qui se content leurs amours, et tu ne peux pas même ajouter une parole aux aveux qu’ils se font dans la nuit, tandis que plus heureuse, la musique, ta sœur, vient embellir la sphère dans laquelle ils vivent et leur dit : Par moi, les clartés humides de la lune ont de célestes vibrations ; les fleurs, des soupirs inconnus, et les ames des voix qui montent aux étoiles. Et les autres caractères, comme ils se grouperaient harmonieusement autour des deux jeunes époux ! Comme la musique serait naïve et franche avec la nourrice, élégante et fine avec Mercutio ! Quelle délicieuse chanson ferait la reine Mab !

Je ne connais aujourd’hui qu’un homme capable d’aborder un tel sujet : Rossini ; et certes, si son génie habite encore en lui, si le repos dans lequel il vit depuis long-temps est celui de la méditation, soyez sûrs qu’il y pensera au jour de son réveil. Après tout, Rossini n’est pas si indifférent qu’il veut bien le laisser croire. Comme toute renommée ayant conscience d’elle-même, il est peu sensible aux éloges des journalistes, et dédaigne parfaitement leur critique. Mais ce n’est pas à dire qu’il ne puisse être occupé du soin de sa gloire à venir. Rossini a reçu du ciel le don de fécondité, nul ne le peut nier ; il a écrit trente opéras environ. Cependant dans