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doir ou d’alcôve ? Quel suc attendre d’un fruit mauvais et corrompu en son germe ? Quoi qu’il fasse, le compositeur traduit une pensée : si cette pensée est vulgaire, la musique partage sa nature ; car entre l’une et l’autre le lien est indissoluble. Et qu’on ne s’y trompe pas, s’il n’existe point en musique d’école française, c’est à cette unité fatale qu’il faut s’en prendre. Le jour où les musiciens français auront compris qu’il est certains sujets vulgaires d’où ne peut s’exhaler aucune bonne mélodie, ils chercheront des sources plus fécondes, et peut-être seront plus heureux. Le malheur veut que nous soyons le peuple le plus spirituel de la terre, hélas ! et bien souvent l’esprit exclut la poésie. Au musicien français il faut, avant tout, un drame intéressant, une rapide succession d’événemens inattendus. Ne lui donnez ni passions poétiques à rendre, ni caractères à développer ; tout cela, c’est un luxe frivole dont il vous dispensera de grand cœur, pourvu que vous ayez eu soin de multiplier les couplets et les chansons. On peut voir tous les jours à l’Opéra quels chefs-d’œuvre on fait avec de pareilles pièces ! Les Allemands, au contraire, toujours préoccupés du fond bien plus que de la forme, demandent au poème une pensée, un germe qui puisse grandir sous leur souffle, et devenir un jour une création idéale. Je ne parle pas de Don Juan, drame merveilleux dont tous les caractères ont une parenté avec ceux de Shakspeare ; voyez Oberon. Certes c’est là une pièce étrangement conduite, il n’y est tenu compte ni d’exposition ni de péripétie, les saintes lois de la vraisemblance y sont partout violées : n’importe, sous ce drame sans forme une sereine pensée habite ; au milieu de ce chaos tremble un rayon de lumière sur lequel l’âme de Weber s’échappe aux sphères de la lune, et va surprendre les chants mystérieux de Titania et du sylphe Ariel.

Maintenant, vous tous en qui grondent des sons inouis et confus, en qui tressaille l’harmonie, à vos claviers, jeunes musiciens ! chantez, et les vierges du poète entendront vos plaintes ; et voyant trembler vos larmes sur les touches d’ivoire, elles viendront les recueillir. Lequel de ces anges divins a jamais refusé son inspiration à ceux de vos frères qui l’ont appelé avec amour et confiance ! Chantez, et Juliette viendra vous visiter, et quand son haleine glissera sur votre front, quand sa main pressera la vôtre, quand