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dû le traité conclu entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal, conception chérie de M. de Talleyrand, surtout s’il eût pu joindre à ce premier résultat l’adhésion de l’Autriche, rêve de son esprit, et qu’il caresse depuis 1814.

Lord Palmerston adopta l’idée de M. de Talleyrand. L’Angleterre se borna à de simples parades nautiques dans la mer Noire ; mais dès ce moment, les relations de M. de Talleyrand et de lord Palmerston se refroidirent. Celui-ci a un esprit très irritable, un caractère susceptible et changeant ; l’ambassadeur de France le prit en dégoût ; d’un autre côté, le cabinet dont lord Melbourne s’était fait le chef, était entraîné de concessions en concessions. On voit, dès cette époque, M. de Talleyrand quitter l’Angleterre ; on apprend que sa santé s’affaiblit ; il court à la campagne et s’enferme dans la retraite. C’est que, lorsque M. de Talleyrand voit l’orage gronder, comme Pythagore, il aime le désert et l’écho ; à son dernier passage à Paris, on le voit même se rapprocher de M. Pozzo di Borgo ; ils n’osent point s’aboucher encore officiellement, mais une retraite diplomatique à Belle-Vue les réunit plusieurs fois dans de petits banquets mystérieux et d’amitié. M. de Talleyrand fuit Londres ; le bruit populaire l’importune ; ce n’est plus une guerre d’une fraction de l’aristocratie contre une autre, c’est le peuple contre l’aristocratie elle-même ; l’enjeu est trop fort, il quitte définitivement l’Angleterre pour Valençay.

Lors de son départ de Londres, M. de Talleyrand connaissait-il déjà le mouvement tory qui se préparait ? Je ne le pense pas. Sa sagacité habituelle pouvait bien pénétrer les causes éloignées d’une révolution qui se préparait dans la pensée du roi Guillaume ; mais, je vous le répète, ce qu’il a fui en quittant Londres, c’est moins le ministère tory que le cabinet de lord Melbourne, moins l’aristocratie que la populace, moins le système conservateur que le système radical. Ce rude peuple de la Tamise, ces matelots aux bras durs, aux visages noircis, tout cela fait peur à M. de Talleyrand, et je suis convaincu qu’en quittant nos brouillards humides, le vieux diplomate a pris la résolution de ne plus y revenir.

D’autres causes depuis son retour en France ont fortifié son invariable résolution. À peine le prince était-il à Valençay, qu’il apprend la dissidence de M. Thiers et de M. Guizot, et la dissolution du cabinet doctrinaire ; il avait été peu consulté lors de son passage à Paris, et voilà qu’il apprend que le comte Molé est chargé par le roi de former un ministère. Sans doute, M. de Talleyrand estime les lumières et la position de M. Molé ; mais lui jeter en face ce nom-là, lui imposer comme chef du conseil, le ministre avec lequel il s’était trouvé en désaccord en plusieurs