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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/22

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REVUE DES DEUX MONDES.

gile ? Envelopper le passé tout entier dans une nuit dédaigneuse, trier sévèrement dans l’histoire les noms amis et les noms hostiles, réunir dans un mosaïsme violent tout ce qui peut servir de préface à la venue du nouveau Christ, voilà l’ambition du disciple, voilà le devoir de l’apôtre.

Ne lui demandez pas s’il a étudié les origines de la langue, s’il a suivi, dans les migrations et les invasions successives, les transformations de l’idiome ; s’il sait quelles singularités étrangères sont revenues avec les armées conquérantes ; s’il connaît les apologues et les symboles ramenés à la suite des guerres d’Orient et d’Italie. Dans les ambages de cette érudition sincère l’apôtre se fourvoierait ; il ne sait du passé que les parties acceptées du maître ; pour le reste, la négation équivaut à l’étude.

Pour les auditeurs désintéressés, c’est vraiment une leçon curieuse. Dans les occasions solennelles, le chapitre s’assemble ; il délibère sur les vérités bonnes à répandre, sur les hérésies qu’il importe de réfuter ; il discute ligne par ligne la proclamation utile aux intérêts de la jeune religion, et, après de sérieux débats, il se résout à promulguer, sous forme d’ordonnance, ce que le maître veut bien amnistier dans le passé. C’est ainsi que tout récemment nous avons su la valeur comparée de Nicomède et de Cinna. Jusque-là le monde était dans l’attente ; les studieux, dans leur sagacité indécise, ne savaient à quel parti se ranger. Car, les foudres lancés contre le style épique d’Athalie, et la réserve élégiaque de Britannicus, avaient épargné le vieux Corneille. Aujourd’hui la foi chancelante est rassurée ; tous les doutes qui pouvaient rester au fond de nos consciences sont ramenés au giron de l’église.

Mais avec l’interprétation du passé, la tâche de l’apostolat n’est pas encore terminée. Il faut défendre contre les schismes envahissans l’orthodoxie qui a coûté tant de sueur et d’éloquence. Il faut enceindre le dogme et la liturgie d’un rempart infranchissable ; c’est-à-dire que la volonté du maître n’est pas plus clémente à l’avenir qu’au passé. — Je suis, dit-il à ses disciples, celui qui était et celui qui sera. Avant moi, la confusion régnait au sein de toutes choses. J’ai pensé : Que la poésie naisse, et la poésie est née ; j’ai ordonné le domaine entier de l’imagination d’après des lois rigou-