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DE LA CRITIQUE FRANÇAISE.

reuses et prévues dès long-temps. Tout est bien ainsi que je l’ai fait ; malheur à qui dérangera une pierre de mon édifice, car il périra sous les ruines ! Je n’ai voulu imiter personne, je n’ai consulté que moi-même pour révéler à mon siècle attentif les caprices de ma rêverie ; j’ai agi sagement, car, avant moi, il n’y avait rien qui pût me servir de modèle. Mais aujourd’hui je me propose en exemple, et chacune de mes œuvres est un enseignement ; levez les yeux sur moi, contemplez les splendides rayons qui ruissellent de mes tempes ; adorez et priez.

J’ai trouvé le moule divin où doivent se fondre et se modeler toutes les pensées possibles, que je ne baptiserai pas, mais que je prévois. Celui qui changera les lignes arrêtées par ma volonté verra le métal rebelle déborder et se perdre ; il aura beau s’accroupir sur sa fournaise, la statue, en se figeant, raillera ses espérances, car elle sera toujours boiteuse, quoi qu’il fasse.

Ceci est tout simplement le décalogue poétique ; chacun de ces versets sert à régler la conduite et la parole de la critique écolière. Toutes les bonnes âmes enrôlées dans cette sainte armée sont désignées par le poète reconnaissant aux plus magnifiques destinées. Mais le jour où ils désertent, ils rentrent dans le néant. —


Reste une dernière critique, sévère, vigilante, impartiale, personnelle dans sa volonté, mais non pas dans ses attaques, qui ne reconnaît d’autre loi que sa conscience, d’autre but que la vérité. Sans doute à l’origine des littératures, les poétiques ne viennent qu’après les poèmes ; sans doute l’imagination ou la synthèse précède la réflexion ou l’analyse. Qui le nierait ? Mais aujourd’hui la question n’est plus la même ; il peut arriver, et il arrive certainement que des esprits d’une même énergie, d’une sève également abondante, s’engagent dans des voies diverses, que les uns cheminent selon la méthode dialectique, tandis que les autres se livrent tout entiers à l’invention. Or, quelle main, si hardie qu’elle soit, posera les limites assignées à ces deux formes de la pensée ? Si l’invention est indéfinie, si le génie humain n’a pas de bornes prévues dans le cercle des idées et des faits, la réflexion serait-elle d’aventure déshéritée du même privilège ? Si le navigateur peut tenter, au péril de sa vie, l’exploration des mers incon-