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la guerre n’ont fait qu’ouvrir les provinces aux provinces ; elles ont donné aux populations isolées l’occasion de se connaître ; la vive et rapide sympathie du génie gallique, son instinct social, ont fait le reste. Chose bizarre ! ces provinces diverses de climats, de mœurs et de langages, se sont comprises, se sont aimées ; toutes se sont senties solidaires. Le Gascon s’est inquiété de la Flandre, le Bourguignon a joui ou souffert de ce qui se faisait aux Pyrénées ; le Breton, assis aux rivages de l’Océan, a senti les coups qui se donnaient sur le Rhin.

« Ainsi s’est formé l’esprit général, universel de la contrée. L’esprit local a disparu chaque jour : l’influence du sol, du climat, de la race, a cédé à l’action sociale et politique. La fatalité des lieux a été vaincue, l’homme a échappé à la tyrannie des circonstances matérielles. Le Français du nord a goûté le midi, s’est animé à son soleil ; le méridional a pris quelque chose de la ténacité, du sérieux, de la réflexion du nord. La société, la liberté, ont dompté la nature ; l’histoire a effacé la géographie. Dans cette transformation merveilleuse, l’esprit a triomphé de la matière, le général du particulier, et l’idée du réel. L’homme individuel est matérialiste ; il s’attache volontiers à l’intérêt local et privé ; la société humaine est spiritualiste ; elle tend à s’affranchir sans cesse des misères de l’existence locale, à atteindre la haute et abstraite unité de la patrie[1]. »

C’est surtout dans le second volume de son histoire, que M. Michelet a développé cette tendance à l’unité ; et pour la rendre plus sensible, il commence par nous dépeindre l’état de nos provinces aux premiers temps de la monarchie, au temps où elles étaient encore séparées l’une de l’autre, retranchées fortement dans leur individualité. Il nous les dépeint avec toutes leurs différences de nature, de climat, de dialecte, de caractère, avec leurs mœurs superstitieuses, leurs habitudes, leurs vieilles légendes, et leurs guerres continues, et leurs sentimens de haine, ou tout au moins de défiance et de rivalité l’une envers l’autre. C’est un large et pittoresque tableau. L’auteur a su trouver des couleurs pour indiquer toutes ces oppositions de localité et de physionomie : et la Bretagne

  1. Histoire de France, tom. ii, pag. 128.