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HISTOIRE DE FRANCE.

syrènes, qui chantent d’une voix mélodieuse, et attirent le passant dans leurs bras[1].

Mais le regard du philosophe perce au-delà de ces traditions poétiques, de ces riantes coutumes, au-delà de ces balcons dentelés des châteaux, et de ces rosaces à jour des cathédrales. Sur cette tige aux nombreux rameaux, sur cet arbre fécond du moyen âge, dit Herder, nous avons vu éclore les fleurs de la chevalerie. Vienne l’orage, ces fleurs tomberont pour faire place à des fruits plus beaux[2].

Il faut savoir gré à M. Michelet d’avoir si bien rendu la vive et touchante expression de la physionomie du moyen-âge, tout en prenant cette époque sous un point de vue aussi philosophique. Il lui faut savoir gré de nous avoir dépeint avec tant de grâce, et ces tours féodales qui ne sont plus, et ces hautes flèches d’église qui manquent maintenant à l’humble foi des paysans et au nid de l’hirondelle, et ces mœurs de nos pères qui s’effacent chaque jour de plus en plus, et cette naïveté des vieux dialectes qui se perd dans la science du dialecte général. Il a surtout recueilli scrupuleusement les légendes de l’abbaye, les traditions de la chaumière, et c’est encore un travail dont nous avons à le louer. Les légendes expriment souvent, de la manière la plus vraie et la plus sensible, le caractère et le génie d’un peuple. Voyez les légendes d’Irlande et celles du midi, le trou de saint Patrice et l’histoire du château de Lusignan. Quel changement de couleur ! quelle différence d’idées ! D’autres fois, les mêmes légendes appartiennent à plusieurs époques, à plusieurs contrées ; elles changent de style et se modifient selon le temps et le lieu, mais le fond reste le même, et en les suivant de phase en phase, d’échelon en échelon, on arrive peut-être à faire des rapprochemens très curieux. Nous en citerons, entre autres, un exemple. Dans la description de la Bretagne, M. Michelet parle de ces pierres de Loc-Maria, que les fées apportèrent, dit-on, dans leurs tabliers. La même tradition se retrouve dans les Pyrénées et dans les îles du Nord. Un géant d’une force prodigieuse qui habitait une de ces îles, ennuyé d’être obligé de se mettre à

  1. Voir Grimm, Alte deutsche Sagen. Büsching, Volkssagen.
  2. Herder. Philosophie der Geschichte, trad. de M. H. Klimrath.