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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

ment. Mais supprimez par la pensée le contrôle de l’intelligence et de la volonté. Que la passion règne seule et souverainement. Que l’ame s’épanouisse et se livre. Mais que jamais n’intervienne la réflexion austère et grondeuse. Que jamais la volonté inflexible, la volonté d’airain, ne contrarie et ne ralentisse, pour l’accomplissement d’un dessein mûri dès long-temps, l’entraînement impétueux de la passion. Que l’homme, résolu à l’ignorance, refuse d’ouvrir les yeux sur le danger qui le menace, qu’il persévère dans l’aveuglement, qu’il s’obstine dans l’imprudence, qu’il mette sa gloire dans la témérité, qu’il méprise le feu enfoui sous la cendre, qu’il se brûle ; est-ce là le bien, est-ce là le bonheur ? Y a-t-il lieu à proclamer l’accomplissement de la loi morale ? Si je ne me trompe, on n’a pas le droit de se décider pour l’affirmative.

Sans doute, la passion prise en soi est une chose belle et grande. L’exaltation et l’ivresse de l’amour sont un noble spectacle. Qui le nierait ? Les douleurs puisées à cette source ont une majesté singulière. Les larmes répandues sur les affections évanouies excitent dans l’ame autre chose que la pitié ; pour cet ordre de souffrances, notre sympathie ne va jamais sans admiration. Et puis, il faut bien l’avouer, il y a dans ces épreuves une vertu fécondante, une sève généreuse, une flamme divine, qui étincelle dans le regard éploré, qui resplendit au front, qui rayonne aux tempes dévastées. Comme Daniel dans la fosse aux lions, l’ame dans le sacrifice s’agrandit et s’élève. Vomi par la fournaise, le métal est plus pur et plus sonore. Le cuivre devient airain, le fer devient acier.

Ainsi font les passions. Elles trempent l’ame et la métamorphosent. Elles révèlent à l’homme des puissances inconnues. Avant d’aimer, il s’ignorait lui-même. Il ne comprenait qu’à demi le mystère de sa destinée. Il ne savait comment dépenser son énergie. Il rougissait en même temps de sa force inutile et de son isolement. Il avait des larmes sans regrets, un deuil sans funérailles. Il se décourageait sans avoir été vaincu. Il aime, et voilà que tout est changé. L’emploi de sa force est désormais assuré ; il a quelqu’un à soutenir, à protéger. Ses larmes ne sont plus coupables d’égoïsme, et couleront sur un front pâli. C’est pourquoi l’amour n’est pas seulement une régénération, c’est un devoir impérieux, inéluctable. Aux hommes qui ne l’ont pas connu, il manque toujours