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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

prouve mieux que la faiblesse extrême, la nullité presque rachitique et l’insignifiance étiolée des écrivains qui restèrent fidèles à l’école de Pope. Hayley et Darwin comptent parmi ces poètes, qu’il faut placer dans les limbes du Dante, parce qu’ils ont vécu sans vivre ;


Che mai non fur vivi.


L’Angleterre s’était long-temps reposée. N’ayant plus que des luttes partielles à soutenir, elle cherchait à se modeler sur la sociabilité du continent ; les bûchers théologiques avaient cessé de dévorer leurs victimes ; le pilori ne se chargeait plus d’oreilles sanglantes ; la tolérance, annoncée par Locke, s’établissait par degrés ; tout s’affaiblissait en s’amollissant ; les haines s’éteignaient ; le jacobitisme se confondait peu à peu avec le pouvoir, et le whiggisme se rapprochait de la philosophie. Pendant cette ère de repos, il y avait eu perfectionnement et progrès ; la vie sociale avait gagné, les idées s’étaient élargies, les habitudes améliorées ; les partis politiques avaient perdu, non leur aigreur et leur mauvaise foi, mais leur soif de sang ; ils avaient renoncé à leur vieille affiliation avec les bourreaux. Toutes ces causes, jointes à l’admiration mêlée de crainte que la monarchie de Louis xiv avait inspirée, expliquent le développement de la poésie de Pope, et la dictature pédantesque, exercée par Samuel Johnson. L’espèce de perfection atteinte par ces deux écrivains, dans la prose et dans la poésie, n’était point conforme au génie originel et teutonique de la langue. La phraséologie était devenue latine, les idées roulaient dans un lit creusé par l’étude des anciens ; l’inversion saxonne et la liberté vigoureuse, dont Shakspeare et Milton lui-même avaient fait un si bel usage, se trouvaient restreintes. Pour moi, je ne me sens le courage de détruire et d’émonder aucune des branches, aucun des rameaux de la civilisation intellectuelle. J’aime mieux, en les-acceptant tous, en les estimant à leur valeur, apprécier comme nécessaires les changemens de ton et de couleur, les révulsions inévitables, les métamorphoses fécondes qui continuent le mouvement des littératures. Je ne connais de condamnable que le faux, le nul, le vague, le pédantisme, l’affectation ; le madrigal de Benserade, imité des Italiens ; le faux mysticisme emprunté aux Allemands ; le faux enthousiasme de