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sentimens les plus purs, ne peuvent suppléer cette virilité, qui n’est, à tout prendre, que l’action elle-même. Et je n’ai pas besoin d’ajouter que l’action, poétiquement comprise, s’applique aussi bien au langage qu’aux gestes.

C’est pourquoi, si M. de Vigny projette, comme j’ai tout lieu de le croire, la rénovation de la scène, il doit dire adieu pour long-temps aux habitudes solitaires et recueillies de son intelligence. Le théâtre, comme la tribune, est voué au tumulte et à l’agitation : celui qui craint le bruit doit renoncer au théâtre comme à la tribune.

Est-ce à dire qu’il n’y a pas aujourd’hui parmi nous un seul homme capable de régénérer la poésie dramatique ? Avec le drame physiologique et brutal de M. Dumas, avec le drame splendide et puéril de M. Hugo, avec le drame spiritualiste et inactif de M. de Vigny, n’est-il pas possible de composer idéalement l’ensemble complet du poète réservé aux triomphes et à la gloire de la scène ? Avec ces fragmens d’armure épars sur le champ de bataille faut-il désespérer de forger une panoplie à l’épreuve des chocs inattendus ? N’y a-t-il pas dans Lucrèce Borgia, Antony et Chatterton, les élémens probables de l’unité poétique, si vainement invoquée jusqu’ici ? L’action, le spectacle et la pensée refuseront-ils de consentir à de mutuelles concessions, et de sceller une glorieuse alliance ? Ne verrons-nous jamais se rencontrer sur le même terrain, sans haine et sans jalousie, l’amusement, l’émotion et la pensée ? Si je ne m’abuse, cette réconciliation n’a rien d’invraisemblable ; mais les types représentés par MM. Dumas, Hugo et de Vigny continueront à se développer isolément : aucun des trois ne voudra s’effacer ou s’absorber dans l’un des deux autres. Le jour où la réunion des types s’accomplira, nous aurons la dictature après l’anarchie : les trois types s’anéantiront en se réunissant. — Non pas que je conseille à personne l’abnégation de sa propre nature, comme un moyen d’agrandir sa puissance : l’imitation la plus savante ne peut jamais conduire à l’originalité. Mais les intelligences prédestinées s’instruiront au spectacle des épreuves. Et qu’on ne dise pas que la critique s’enferme dans une négation obstinée. Ce n’est pas notre faute si l’élégie et le roman dominent aujourd’hui la poésie dramatique ; nous écrivons l’histoire, nous ne la faisons pas.


Gustave Planche.